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Ainsi commençait par le fait d’une initiative privée, dont il était bon de ne pas laisser périr le souvenir, cette mission d’humanité à laquelle nous verrons, pendant sept années consécutives, nos capitaines se dévouer avec une abnégation que ne découragèrent ni l’ingratitude, ni les calomnies, ni les attaques réitérées dont notre propre commerce devint l’objet.

V.

Les Moréotes étaient peu estimés des autres Grecs. Leurs klepthes les plus célèbres avaient la réputation de s’attaquer plus souvent à leurs compatriotes qu’aux Turcs. Il faut faire cependant une exception en faveur des Maniotes ; non moins prompts que les autres au pillage, ils se distinguaient du moins par leur franchise et par leur indépendance. Tel était le caractère de ces Mavromichalis dont presque toute la famille paya de son sang la régénération de la Grèce. Le chef de cette famille, Petro-Bey, administrait le Magne au nom du capitan-pacha. Avec sa parenté puissante, avec la considération dont il jouissait parmi les hétairistes, Petro-Bey semblait destiné à être le chef de l’insurrection ; mais, pour garder ce poste élevé, il lui eût fallu une ambition mieux trempée et un naturel moins facile. Les klepthes de la Morée ne tardèrent pas à disputer au chef des Maniotes le commandement des armées et la conduite de la guerre. Colocotroni est le type de ces capitaines. Il avait cinquante ans au début de la révolution. Son père avait été obligé de chercher en 1779 un refuge dans le Magne ; il y fut tué par un détachement de troupes turques l’année suivante. Le jeune Colocotroni grandit au milieu des troubles du Magne, bouleversé par des luttes sauvages, entreprises pour obtenir la suprématie. À l’âge de vingt-sept ans, il était devenu brigand de profession. En 1806, il était contraint de se retirer aux îles ioniennes et de prendre du service sur un corsaire. En 1810, Zante appartenait aux Anglais ; Colocotroni entra à leur service, devint major au régiment grec, et retourna deux ans après à son ancien métier de commerçant de bestiaux. Les Russes se l’attachèrent, et il fut de bonne heure initié à tous les secrets de l’hétairie. Le 15 janvier 1821, il quittait Zante pour rejoindre ceux qui préparaient le soulèvement, et débarquait à Kardamyle dans le Magne.

En Morée, les Grecs avaient été bientôt maîtres de tout le pays, mais dans la Grèce continentale les Armatoles se décidèrent moins vite à prendre les armes contre le sultan, au service duquel ils avaient une solde élevée. Beaucoup de soldats chrétiens ne