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lui-même, dans un langage énergique, avait pris soin de les prévenir : — Vous voulez marcher avec moi, c’est fort bien ; mais le premier de vous qui dort en faction, le premier qui bat en retraite sans avoir attendu mes ordres, je lui brûle la cervelle. De votre côté, si vous me trouvez en faute, ne m’épargnez pas non plus. — Chacun d’eux, ainsi que lui, portait le sabre nu, sans fourreau, pour éviter ce perpétuel cliquetis de fer qui de loin si souvent a trahi nos soldats. Tout homme enrhumé était impitoyablement congédié et renvoyé à l’hôpital ; pour un franc-tireur, à quelques mètres de l’ennemi qu’il est venu surprendre, un accès de toux ne vaut rien. Défense de fumer : la nuit, par habitude, on allume sa pipe, et l’on se fait envoyer une balle ; défense aussi d’emporter le moindre objet d’aucune maison. Nogent était alors complètement désert, et, comme dans tous les villages autour de Paris, les habitans, surpris par l’annonce du siège, étaient partis, abandonnant leur linge et leur mobilier ; mais Holf et les siens ne s’en souciaient guère, ils ne songeaient qu’aux Prussiens ; à peine prenaient-ils le temps de dormir.

Pour cette guerre de sauvages, il faut du courage sans doute, beaucoup de courage, de l’adresse aussi, de l’astuce, mais plus encore du sang-froid. Or le Français, avec des qualités réelles, manque de calme trop souvent. Pur chaleur de sang, par gloriole même, par une sorte de bravoure inconsidérée, il ne s’accommode pas longtemps de moyens qu’il juge trop peu généreux ; content d’avoir pour un instant prouvé son adresse, il a hâte d’égaliser la lutte, il se découvre tout à coup et se fait tuer noblement au moment même d’atteindre le but ; mieux vaudrait tuer l’ennemi. Hoff un soir, sortant de Nogent, demandait quelqu’un pour l’accompagner. Tous ceux qui étaient là semblaient hésiter : un mobile s’offrit alors, un petit mobile de la Vienne qui n’avait jamais tiré un coup de fusil. Il avait si bon air pourtant sous sa longue capote grise, il paraissait si bien décidé, que le sergent l’accepta. Tous deux partirent à pas de loup, et, s’engageant dans la vaste plaine qui sépare Nogent de Neuilly-sur-Marne, arrivèrent près d’une ferme, sorte de bâtiment plat où les Prussiens avaient établi un poste important. Une première sentinelle tombe sans bruit sous le sabre de Hoff ; un coup de carabine fait justice de la seconde. Ce que voyant, notre mobile vise à son tour et tire ; mais il avait compté sans son chassepot, dont la détonation plus bruyante vient troubler tout à coup le calme de la nuit. À ce bruit bien connu, les wer da se croisent, le poste s’agite, les hommes sortent et prennent position en avant de la ferme. Ils n’étaient pas moins de deux compagnies, et nos lignes se trouvaient à trois kilomètres. Sans hésiter, le mobile met baïonnette au canon, et seul contre trois cents s’apprête