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le brûlot au vaisseau abordé, mit le feu à la mèche, et sauta dans la barque où déjà l’attendaient ses compagnons. En un instant, les flammes montèrent jusqu’aux voiles du brick, la coque du vaisseau fut enveloppée dans une nappe de feu et de fumée. Les Turcs avaient coupé leur câble, mais les deux navires dérivèrent ensemble vers le fond de la baie, tous deux embrasés, tous deux confondus dans le même incendie, jusqu’au moment où la soute à poudre du vaisseau fit explosion. Les chaloupes, chargées à couler bas, furent cependant insuffisantes à recevoir les fuyards. Les matelots turcs se jetaient en foule à la mer pour tenter de gagner la rive à la nage. On suppose qu’il périt près de 400 personnes, victimes de ce premier sinistre. Pour la marine du sultan, la leçon était rude ; pour les Grecs, le secret de la guerre était trouvé.

Bientôt connu des autres navires de la flotte ottomane, le désastre de Porto-Sigri terrifia le riala-bey. Il abandonna le projet d’attaquer Samos et se hâta d’aller chercher la protection du canon des Dardanelles. Tombazis ne se crut pas de force à l’y poursuivre. Il préféra conduire son escadre au mouillage de Mosco-Nisi. Les îles Mosco forment à l’entrée du golfe d’Adramyti, en face de Métélin, une des rades les plus sûres et les plus vastes de la côte d’Asie. Par le rude hiver de 1849, l’escadre de l’amiral de Parseval y resta pendant quelques jours abritée. Une ville de 30,000 âmes, sortie du néant depuis un demi-siècle, avait peu à peu couvert de ses édifices le contour de la baie. Les Turcs appelaient cette ville Aïvali ; les Grecs, qui l’avaient fondée, lui donnaient le nom de Cydonia. Dépendance du gouvernement de Pergame, cette cité, aussi libre qu’Hydra et Spezzia, avait grandi en silence aux extrémités de ce pays désert. C’était une sorte de petite république oubliée, peut-être même inconnue de la Porte. On venait s’y instruire des divers points de l’Archipel, car ses écoles florissantes avaient acquis une juste célébrité. Les milices turques, qui s’étaient mises en marche à l’appel du sultan pour aller combattre les infidèles sur les bords du Danube, ne pouvaient passer à portée d’une cité toute chrétienne sans éprouver le désir de la piller. L’apparition de la flotte grecque leur en fournit l’occasion et le prétexte. Le 16 juin 1821, des bandes fanatiques et à demi sauvages pénétrèrent dans la ville.

Les Grecs depuis deux jours s’attendaient à cet assaut. Les plus riches, qui étaient en même temps et à juste titre les plus effrayés, avaient à la hâte préparé leur fuite. L’eau, trop peu profonde aux abords de la ville, tenait malheureusement les embarcations de la flotte à une assez grande distance du rivage. Il fallut s’embarquer sur des radeaux pour rejoindre les canots qu’avait expédiés