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chasse pour l’envelopper, s’il était possible, fut l’affaire d’un instant. Le Turc, épouvanté, prit la fuite et s’alla réfugier sur la côte occidentale de l’île de Métélin, au mouillage de Porto-Sigri. Les bricks grecs entrèrent dans lia baie à sa suite et vinrent successivement défiler à sa poupe ; mais leurs pièces impuissantes produisaient peu d’effet sur ce colosse immobile, qui ripostait de son mieux avec ses gros canons de retraite. L’amiral ipsariote, Nikol Apostolis, se souvint du combat de Tchesmé. C’était avec des brûlots qu’on avait alors détruit les Turcs ; c’était encore avec des brûlots qu’il fallait les attaquer. On sait comment se dispose ce vieil engin de guerre. On charge un bâtiment de matières combustibles, on arrose son gréement de poix, ses voiles de térébenthine ; on prépare une mèche qui puisse dans un temps donné mettre le feu aux poudres et le communiquer aux divers foyers de cette fournaise. Une plate-forme est installée sous la poupe pour qu’avant l’abordage l’équipage tout entier s’y réfugie.

C’est de cet abri que jusqu’au dernier moment on fait encore mouvoir le gouvernail. Une embarcation rapide suit à la remorque, prête à recevoir les fugitifs. On s’avance protégé par la nuit, souvent par la fumée et la canonnade de la flotte. Si le vent ne fait pas défaut, si l’on n’a pas été découvert, démâté ou coulé avant d’avoir pu toucher le but, on jette les grappins sur le bâtiment ennemi, on s’attache à ses flancs et on met le feu à la mèche. L’instant critique est venu. C’est alors qu’il faut s’élancer dans l’embarcation halée sous la poupe, qu’il faut ceindre ses reins et ramer pour sa vie, car il n’y a pas de pardon, même dans la guerre que se font entre eux les peuples civilisés, à espérer de l’ennemi qu’on attaque ainsi dans l’ombre et la torche en main. Aussi quelle émotion a fait battre à cette heure les cœurs les plus intrépides ! Le baleinier prêt à darder son harpon ne rassemble pas avec plus de soin toute son énergie. Le coup est porté ! En arrière ! en arrière ! si vous voulez vivre. Les convulsions du monstre sont mortelles pour tout ce qu’il touche. Bien des brûlots se sont, dans la guerre de l’indépendance aussi bien que dans les batailles moins modernes, arrêtés en chemin, ou se sont, après l’abordage, consumés inutiles. Un vrai capitaine de brûlot était un homme rare, même au temps où l’on ne savait faire la guerre qu’avec des brûlots. Les deux premiers navires dirigés par les Grecs contre le vaisseau turc pour l’incendier dérivèrent le long de ses flancs sans s’y accrocher. Le troisième, — un brick de 200 tonneaux, monté par 18 hommes, — fut bravement conduit par son capitaine sous le bossoir du vaisseau. Cet homme déterminé mérite assurément qu’on retienne son nom. Il s’appelait Pappa Nikolo. Il assujettit par une forte amarre