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toute une révolution dans la conduite des opérations maritimes, les brûlots le produisaient déjà il y a trois cents ans. L’action de ces engins s’exerçait, pour ainsi, dire, à distance, et n’attendait pas pour être efficace le moment de la mêlée. De même que le faucon s’élève en spirale dans les airs pour arriver à dominer, le héron sur lequel il veut fondra, les amiraux de Charles II ou de Louis XIV devaient disputer, et gagner le vent à l’ennemi avant de pouvoir songer à lancer contre lui leurs brûlots. C’était, à s’assurer cet immense avantage que consistait jadis l’habileté du commandant en chef d’une grande armée navale. Ruiter eut des rivaux sur le champ de bataille ; il rencontra peu d’émules dignes de lui dans ces luttes préliminaire, où il apportait sa merveilleuse sagacité et sa fructueuse expérience. La connaissance approfondie qu’il avait acquise des bancs et des courans de la côte de Flandres ne lui eût point suffi peut-être pour primer les Anglais de manœuvre : il y joignait cette sorte d’intuition qui était autrefois comme un sens à part dévolu au marin ; on le vit constamment pressentir les moindres variations de la brise, les pressentir souvent vingt-quatre heures à l’avance, et se mettre par les évolutions prescrites à ses escadres en mesure d’en profiter. Dans des situations semblables et avec des moyens analogues, les amiraux grecs ont montré les mêmes qualités, C’est en manœuvrant qu’ils ont fait prendre chasse aux flottes ennemies, qu’ils les ont contenues, entravées dans leurs marches, interrompues dans leurs opérations.

De toutes les marines du monde, la marine ottomane est assurément celle qui s’endort le plus volontiers sur la foi de ses ancres ; il n’est guère de mouillage qui ne lui semble assez sûr dès qu’elle y peut avoir l’espoir d’atteindre le fond. Il faut du calcul et une certaine science pour sortir d’embarras à l’aide de ses voiles ; il ne faut que de la foi et de la résignation à la volonté divine quand on a recours à ses câbles. Mouiller est une solution qui convient particulièrement aux adeptes du fatalisme. L’aiguillon du brûlot ne tarda pas à modifier considérablement sur ce point les idées et les allures des Turcs. On les vit évacuer soudain des rades où en d’autres temps ils auraient passé des saisons entières, errer à l’ouverture des baies où les appelaient les intérêts les plus sérieux, où les poussaient les brises les plus favorables, sans oser y aller jeter l’ancre. Les plus grands avantages remportés par les Grecs l’ont été par de simples démonstrations. Le jour où Ibrahim-Pacha, indigné de ces folles terreurs, aura obligé la flotte combinée d’Alexandrie et de Constantinople à passer outre en faisant au besoin la part du feu, la Grèce sera perdue : elle le serait du moins, si la France n’était pas là pour la sauver. Cette héroïque figure d’Ibrahim me rappelle