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et la corvette enlevés dans le port de Milo. Spezzia eut donc l’honneur d’arborer la première le drapeau de l’indépendance, mais elle fut aussi la première à souiller par d’odieux excès ce glorieux emblème de la liberté hellénique. Une « riche amazone, » veuve du capitaine Bobli, mis à mort à Constantinople où il s’était trouvé impliqué dans les persécutions dirigées contre les hétairistes, avait attisé à Spezzia l’incendie. Cet incendie, il importait fort de le propager, car ce n’était pas Spezzia qui pourrait résister seule à la flotte turque. Pendant que la Bobolina, « vêtue à la macédonienne, » aussi ardente au pillage, aussi impitoyable au massacre que le plus farouche des Skipetars, allait s’établir en croisière avec quatre navires armés à ses frais devant Monembasia et l’entrée du golfe de Nauplie, d’autres bâtimens spezziotes apportaient à Ipsara, à Hydra, à Caxos, les nouvelles décisives que les populations encore hésitantes de ces îles attendaient pour se prononcer. Le mois d’avril n’était pas entièrement écoulé que l’insurrection maritime était devenue générale. De Ténédos à Rhodes, de Zante à Ténédos, la mer se couvrit de bricks et de goélettes grecs qui eurent bientôt capturé tout navire turc assez imprudent pour n’avoir pas cherché immédiatement refuge dans un port.

Dans la voie où ils s’étaient engagés à la suite des Spezziotes, les capitaines d’Hydra ne tardèrent pas à se fermer par les plus sanglantes violences tout retour. Un navire ottoman chargé des présens que le sultan Mahmoud envoyait à Méhémet-Ali fut rencontré sur la route de l’Égypte par deux bricks hydriotes que commandaient les capitaines Sachtouris et Pinotzis. De nombreux pèlerins se rendant à La Mecque, le grand-mufti récemment déposé, la suite et la famille de ce saint personnage s’étaient embarqués à Constantinople sur le bâtiment que son mauvais destin mettait à la merci de gens qui s’étaient promis de n’en point faire aux Turcs. Vieillards, femmes, enfans, tout fut égorgé. C’est par de pareils actes que les insurgés semblèrent dès le début vouloir décourager les sympathies qui ne demandaient qu’à se prononcer pour eux : accusés par les Francs de « perfidie, d’astuce, de cruauté, » on eût dit qu’ils prenaient à tâche de donner raison à ces compétiteurs jaloux qui, suivant les expressions mêmes de l’amiral Halgan, « ne le cédaient guère aux Turcs dans leur éloignement pour les Grecs. » Les gouvernemens européens, aux oreilles desquels il n’arrivait du Levant que des réclamations passionnées ou des rapports sinistres, devaient, on le comprendra sans peine, hésiter beaucoup à venir en aide à de pareils barbares ; mais le droit renferme en lui-même une telle puissance qu’il est sans exemple que les fautes des hommes, les préjugés des nations ou les égoïsmes de la politique l’aient