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il mettait l’oreille contre terre et écoutait. Un arbre, une branche cassée, une pierre, des traces de pas sur l’herbe, tout lui était bon, tout lui servait d’indice ou de point de repère. Il s’approchait ainsi des lignes ennemies et observait à loisir. Parfois il était entendu. Wer da ? qui vive ? criait la sentinelle. Gut Freund ! bon ami ! répondait-il dans la même langue, et le bon ami aussitôt sortait de sa cachette, tombait sabre en main sur l’Allemand surpris, et d’un seul coup bien asséné lui fendait le casque et la tête. Les coups de sabre ne font pas de bruit.

Certain jour sur la route de Strasbourg, entre Nogent et Neuilly-sur-Marne, vers l’endroit qu’on appelle le Four-à-Chaux, deux cavaliers ennemis se trouvaient en reconnaissance. Hoff par aventure cherchait fortune du même côté. Au bruit des pas, il se dissimule derrière une palissade, tire son sabre et attend. L’un des uhlans avait mis pied à terre, et, laissant son cheval à son camarade, était parti en avant. Un à un, il suivait les arbres de la route, le dos courbé, prêtant l’oreille ; qu’on juge de son épouvante quand il aperçut à trois pas dans l’herbe deux yeux ardens qui le regardaient. Sans lui laisser le temps de la réflexion, Hoff fond sur lui, le tue raide, puis court à l’autre cavalier, qui, les mains prises dans les rênes, essaie en vain de se défendre, et l’étend mort également. Les deux chevaux partent au galop ; Hoff les a toujours regrettés.

Quelquefois, il est vrai, les choses ne se passaient pas aussi simplement : une sentinelle donnait l’alarme, le poste ennemi s’armait, il fallait jouer du fusil. Notre sergent est un excellent tireur, mais il n’aimait pas à prodiguer la poudre. — « Voyez-vous, me disait-il, il ne s’agit pas de tirer beaucoup. Deux, trois cents mètres, voilà la bonne distance ; à trois cents mètres, je suis sûr de mon coup. J’ai fait mieux que ça une fois, mais ce n’est pas le cas ordinaire. J’étais avec mon lieutenant dans une maison de Nogent, une petite maison rouge au bord de la Marne ; on voit encore les trois créneaux que j’avais percés près du toit. Tout en haut du viaduc, sur l’autre rive, nous aperçûmes comme un point noir ; à cette distance, quatre cents mètres au moins, on aurait dit une branche d’arbre. Le lieutenant prend sa lorgnette. — Mais c’est un homme, un officier, me dit-il ; il y a quelque chose à faire. — Je regarde à mon tour ; avec la lorgnette, on le distinguait fort bien : un grand beau garçon, ma foi ! à favoris blonds, à casquette plate. Je voudrais le reconnaître, s’il vivait encore. Appuyé sur le parapet, il prenait des notes. Je mets la hausse à quatre cents mètres, j’épaule, je tire, il s’affaisse, et par-dessus le parapet va rouler dans le chemin creux qui de chaque côté conduit au viaduc. Au bout d’un moment, un des leurs arrive pour le ramasser ; j’y comptais. Je tire une seconde fois ; l’homme ne tomba pas, mais la balle sans doute