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bonne heure : préjugé ou non, Hoff avant la guerre n’avait fait pressentir en rien ce qu’il devait être un jour. Il est né en Alsace, dans le canton de Marmoutiers, à quelques kilomètres de Saverne. Plâtrier de profession, des l’âge de quatorze ans, il quittait la maison paternelle pour commencer son tour de France. En 1856, la conscription le prit, et il entra au régiment. Il ne savait presque rien alors ; il savait un peu lire, un peu écrire, et encore en allemand ; c’est au service qu’il apprit le français. Aussi son avancement fut-il bien pénible ; il mit dix ans à passer caporal. D’ailleurs, par un curieux hasard, dans ce long espace de deux congés il n’avait fait aucune campagne, et ce vieux soldat, qui dès les premiers jours du siège de Paris devait déployer tant d’audace et d’habileté, n’avait jusque-là jamais vu le feu. Tout au plus avait-il passé quelques mois à Rome avec l’armée d’occupation. La guerre le trouva sergent instructeur à Belle-Isle-en-Mer, où était caserne le dépôt du 25e de ligne. Qu’aurait-il fait ? On ne saurait dire, — son devoir à coup sûr, car il passait pour un bon serviteur, discipliné et solide ; mais un événement imprévu vint tout à coup surexciter son énergie et décupler ses facultés. Vers le milieu du mois d’août, il apprenait par une lettre que son père, vieillard de soixante-quatorze ans, avait été pris et fusillé par les Prussiens en essayant de défendre son foyer. Heureusement la nouvelle était fausse, comme il le sut plus tard ; mais le coup était porté. Dès ce moment, la guerre devenait pour Hoff une question personnelle, le ressentiment privé s’ajouta en lui à cette haine imprescriptible que tout Alsacien nourrit au fond du cœur contre les gens de l’autre côté du Rhin, et durant toute la campagne ne songea qu’à venger son père. Il voulait partir sur-le-champ, fût-ce en simple soldat ; on avait besoin d’hommes ; il put garder son grade. En quelques jours, il passa de Belle-Isle à Vannes et de Vannes à Paris ; il fut incorporé au 7e de marche, partit pour Châlons avec le corps du général Vinoy, et le 1er septembre au matin il se trouvait de grand’garde en avant de Reims. On entendait dans le lointain gronder le canon de Sedan, et les détonations se succédant sans relâche disaient assez l’acharnement de la lutte. Bientôt arriva la nouvelle du désastre, puis l’ordre de battre en retraite. Il était temps. Les Prussiens entraient à Reims deux heures à peine après nous. Déjà la veille aux avant-postes une femme était venue dire que trois éclaireurs ennemis se reposaient dans une ferme voisine. Hoff s’offrait à les poursuivre, mais l’officier n’avait pas d’ordres ; la bonne femme fut congédiée. Alors seul, sans mot dire, pour la première fois insoumis, le sergent se lança dans la campagne. Il chercha pendant trois heures ; il ne connaissait pas le pays, il s’égara et dut rentrer comme il était parti. Les Prussiens du reste ne perdaient lien pour attendre.