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n’a pas non plus ces mystiques allures et ces prétentions ambitieuses.

Ainsi tous ces épisodes portent à faux, et si l’on se rappelle qu’ils sont là uniquement pour masquer le vide de la pièce, que reste-t-il donc de l’œuvre nouvelle de M. Alexandre Dumas ? Pas même l’idée, pas même l’indication d’un drame qui aurait pu être développé plus heureusement. Il n’y a en effet ni rapports mi luttes possibles entre Claude Rippert et l’odieuse Césarine ; par conséquent il n’y a rien d’où puisse sortir ni drame ni comédie. Sur une donnée aussi pauvre, l’auteur devait échouer. Il s’est imaginé toutefois que certaines doctrines philosophiques et morales, certains sentimens de patriotisme, certains accens spiritualistes, prêteraient de la consistance à son œuvre et suppléeraient à l’insuffisance du fond. Il s’est trompé ; on n’improvise pas ainsi une poétique nouvelle. Docteur en demi-monde, M. Alexandre Dumas a encore bien des études à faire, s’il veut confier au théâtre les doctrines meilleures dont il a le soupçon et le désir. Alors il faudra qu’il choisisse. A vouloir rester docteur in utroque jure, il s’exposerait encore à de fâcheuses déconvenues.

On signale parfois des artistes, peintres ou musiciens, qui après des succès brillans se dérobent au public pendant quelques années, jaloux de renouveler leur inspiration. C’est un peintre déjà consacré qui se condamne à de nouvelles études, afin de reparaître plus fort ; c’est un virtuose, habile à faire chanter l’âme du violon, qui s’enferme, qui se confine dans un travail acharné, pour atteindre un degré supérieur de son art. Les amis de M. Alexandre Dumas devraient lui conseiller de suivre cet exemple. Au point où il est placé dans le développement de sa carrière, il a besoin plus que nul autre d’une transformation courageuse. Qu’il veuille bien prendre cette remarque en bonne part ; nous n’aurions garde assurément de lui donner un tel avis, si nous ne faisions cas de son talent et de ses légitimes ambitions d’artiste. Après avoir été le peintre trop complaisant des sociétés suspectes, il voudrait aujourd’hui exercer une influence virile. On ne passe pas de plain-pied du premier rôle à l’autre ; M. Alexandre Dumas l’a essayé imprudemment, et il est resté court. Cette expérience, s’il le veut bien, ne sera pas perdue. Qu’il étudie, qu’il observe, qu’il médite, qu’il sorte de ce monde factice où il se confinait, pour interroger enfin la société réelle ; l’autorité du moraliste est à ce prix. Il fera bien surtout de ne pas se hâter, c’est une épreuve décisive qu’il va subir. Sa première œuvre nous montrera s’il était capable de se renouveler ou si, tout en changeant de point de vue, il reste condamné à de perpétuelles redites.

On ne peut guère parler que de Mlle Desclée à propos des interprètes de ce singulier ouvragé. Les autres n’ont à rendre que des personnages mal conçus et des scènes incohérentes ; elle seule, elle a un rôle qui se tient, ira rôle tout d’une pièce, rôle hideux, mais logique dans ses