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les miraculeuses inventions du savant. Nous signalons ce détail comme une curiosité ; ce sont là les coquetteries de l’art extérieur dans une œuvre où l’art intime, l’art de penser et de concevoir, subit de si étranges défaillances.

Voilà le malheur en effet : cette règle des unités, destinée, suivant Boileau, à faire valoir le fond d’un ouvrage, ne peut rendre ici aucun service, car c’est précisément ce fond qui manque. Il n’y a qu’un seul lieu, qu’un seul jour, qu’une seule action, mais le théâtre n’est pas rempli du tout. On ne sent pas ici la logique des sentimens et des idées, ce fil secret, comme dit admirablement Rivarol, qui fait que l’esprit suit l’esprit dans sa route invisible. La pièce veut prouver une chose, elle en démontre une autre. À chaque scène, la pensée de l’auteur s’égare, se cherche et ne se retrouve point. Il y a des lacunes, des ruptures, des trous. Pour boucher ces trous, pour dissimuler ces lacunes, il faut nécessairement des remplissages, et ce dramaturge ordinairement si net, si résolu, si accoutumé à retenir sa pensée, bonne ou mauvaise, dans le sillon qu’il lui trace, est obligé de recourir à des procédés de facture, à des ruses de métier. Naguère, dans ses œuvres même les plus fâcheuses, on ne le voyait pas se battre les flancs. Que sont aujourd’hui ces figures, ces épisodes, ces théories, ces dissertations ? Un pur placage extérieur ; cela ne sort pas du fond du sujet. J’ai dit le mot juste et je dois le répéter, les principaux incidens, les principaux ressorts du drame ne sont autre chose que du remplissage : remplissage les sentimens religieux, et remplissage aussi les professions de foi patriotiques.

Certes ce n’est pas nous qui reprocherons à M. Alexandre Dumas d’avoir manifesté sur le théâtre les sentiments que lui inspirent les malheurs de la France. Lorsque Claude Rippert affirme que les douleurs privées ne sont rien désormais, et qu’il n’y a plus que des douleurs publiques, il exprime une pensée commune à tous les hommes de cœur ; mais plus une idée est digne de respect, plus une émotion est pure et sacrée, plus aussi il faut prendre soin de la placer dans un cadre qui lui convienne. Si l’auteur nous fait sourire à propos de patriotisme, nous ne lui pardonnons pas sa maladresse, car il y a des maladresses qui ressemblent à des profanations. Nous aimons le patriotisme de Claude ; comment ne pas sourire de ses illusions ? Qu’est-ce que ce canon qui pulvérise les armées et les forteresses ? L’auteur de la Femme de Claude eût-il imaginé autre chose, s’il avait voulu tourner en ridicule la manie des inventions miraculeuses aux heures de grand péril public ? Nous avons vu cela de fort près pendant le siège de Paris. Que de braves gens croyaient fermement avoir trouvé l’infaillible moyen d’anéantir les armées allemandes ! Les sauveurs se comptaient par certaines, et il ne fallait pas leur faire une objection ; ils avaient réponse