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passionné que Claude Rippert pour les progrès de la science et la délivrance de la patrie. Ce cabinet de travail est donc le sanctuaire où se prépare la revanche. Le secret de l’inventeur, ce secret qui vaut plus que des milliards, est enfermé dans un coffre-fort que nul ne saurait ouvrir, excepté Claude lui-même et ce fervent disciple confident de sa pensée. Noble maison, demeure bénie, s’il n’y avait, hélas ! des secrets d’une tout autre nature sous le toit de l’ingénieur ! L’excellent homme supporte un poids de douleurs et de hontes capable d’écraser les plus forts.

Tout cela va éclater dès la première scène. Voyez : il fait à peine jour, une femme de chambre est occupée à quelque rangement dans la pièce quand le marteau retentit à la porte extérieure. Un instant après paraît une jeune femme frissonnant dans ses vêtemens de voyage. Elle a passé la nuit en chemin de fer, elle est pâle, défaite, en proie à une sorte de fièvre qui lui fait tenir des propos incohérens et prononcer les plus étranges aveux. C’est la femme de Claude, Césarine Rippert. D’où vient-elle ? voilà trois mois qu’elle a quitté la maison de son mari pour courir le monde avec un de ses amans. Oh ! elle n’a pas de secrets pour cette domestique qui vient de lui ouvrir la porte ; c’est sa confidente obligée depuis les premières chutes, c’est la complice de ses mensonges et de ses ignominies. Et puis il faut bien qu’elle parle en son délire ; parler, avouer, cela soulage un peu la conscience, même la plus dépravée. N’a-t-elle pas tout récemment, pendant une maladie qui l’a mise en danger de mort, prié un prêtre d’entendre sa confession ? Elle ose le dire à sa confidente, fort incrédule sur ce point, et, comme elle insiste, soutenant qu’une telle confession, à l’heure du grand départ, ne pouvait être que sérieuse et complète : — Oh ! répond celle-ci, c’est comme au moment de se mettre en voyage, on oublie toujours quelque chose.

Le ton de cette conversation, ce dialogue cynique, les rires de la servante suivis de frissonnemens soudains, tout cela compose une odieuse image de la corruption. Nous ne sommes pas fâchés d’apprendre que la misérable Césarine appartient par sa mère à cette aristocratie étrangère ou plutôt à ces tribus nomades, à ces races sans feu ni lieu, qui n’ont d’autre patrie que les villes de bruit et de plaisir, pèlerins du vice qui font de Paris un foyer de débauche, sauf à déclamer ensuite contre l’immoralité française. M. Alexandre Dumas est bien renseigné sur ce point ; l’héroïne de l’Affaire Clemenceau faisait déjà partie de ce monde équivoque. Claude Rippert va-t-il demander compte à Césarine de ce qu’elle est devenue pendant ces trois mois d’absence ? Non pas. Son parti est pris ; il lui laisse la bride sur le cou. Il aurait pu la chasser de chez lui comme adultère, il a mieux aimé la garder, afin d’éviter le scandale public. Il n’en a plus du reste aucun souci. Elle part, elle revient ;