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être sévère où il faut, indulgent où il convient. M. Dumas ; au contraire, ne voit qu’un seul côté des choses. Autrefois il essayait de réhabiliter la courtisane, il peignait complaisamment le demi-monde, il affectait de croire que les sociétés interlopes tiennent une place considérable dans la société française, il étalait en pleine lumière les vices qui ont coutume de se cacher, et, comme sa verve sceptique aimait à se jouer et à mordre au milieu de toutes ces misères, il augmentait le mal rien qu’en le dévoilant. Aujourd’hui, animé d’intentions meilleures, il flétrit la femme adultère, il la condamne, il arme le mari trompé d’un droit épouvantable, et ne songe pas seulement à se demander si le mari n’a pas des devoirs à remplir, s’il n’a pas été le complice involontaire de la coupable, s’il n’a pas contribué à la perdre. Quand le vieux Caton s’écrie : tue-la ! il parle au nom d’une religion qui faisait du chef de famille le chef du culte domestique, de telle sorte que cet homme, investi d’une puissance formidable, ne l’exerçait que sous le regard de ses dieux. Ces cultes primitifs une fois disparus, où est la garantie des justiciables ? Dans la conscience religieuse de celui qui prétend s’ériger en juge. Qu’il commence donc par se juger lui-même. Telle est la loi plus haute que le Christ a apportée au monde. Qu’on relise dans saint Jean cette scène simple et profonde de la femme adultère, on verra comment l’Évangile a répondu au tue-la du vieux Romain. On verra aussi, en comparant les deux systèmes, que M. Alexandre Dumas, dans sa brochure de l’an dernier comme dans son drame de l’autre semaine, ne relève ni de l’antique loi ni de la loi nouvelle ; il n’est ni païen ni chrétien, l’humanité le désavoue.

M. Alexandre Dumas n’est donc pas un moraliste, occupons-nous seulement du dramaturge. — Quand la toile se lève, le jour commence à paraître et éclaire de ses premières lueurs le cabinet d’un homme d’étude. Des livres, des sphères, des instrumens, garnissent les tables et les rayons. On aperçoit sur un meuble quelques obus prussiens, souvenirs de la guerre maudite. Ces souvenirs sont une excitation. Le maître de cette demeure est un mécanicien de génie qui demande à la science les inventions vengeresses pour les mettre au service du droit et de la paix. Claude Rippert, c’est son nom, appartient tout entier à l’idée qui l’enflamme ; il rêve des artilleries prodigieuses, irrésistibles, qui détruiront des armées et renverseront des forteresses en quelques minutes. Que dis-je ? ce n’est plus un rêve. L’alchimiste a trouvé la pierre philosophale. Son canon est tout prêt. Le jour où il lui plaira, la France sera vengée, et notre victoire sera si foudroyante qu’elle rendra toute guerre à jamais impossible. Voilà depuis plusieurs mois ce qui occupait le maître de cette maison studieuse au fond de la vallée solitaire. Chaque jour, du matin au soir, on entendait retentir des coups de feu. C’étaient les expériences de l’ingénieur et de son élève, un jeune adepte aussi