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REVUE DRAMATIQUE.

THÉÂTRE DU GYMNASE. — LA FEMME DE CLAUDE, par M. Alexandre Dumas.


On ne nous accusera pas de pédantisme, si nous citons Caton l’ancien à propos d’un Caton moderne qui vient de se révéler au théâtre du Gymnase. L’apparition de ce nouveau moraliste est sans doute fort inattendue ; qu’importe ? L’analogie de ses formules avec les maximes de son devancier est manifeste, et nous ne serions pas libres en vérité de nous soustraire à ce singulier rapprochement. Voici donc ce que disait le vieux Caton : « le mari est juge de sa femme ; son pouvoir n’a pas de limites, il peut ce qu’il veut : si elle a commis quelque faute, il la punit ; si elle a eu commerce avec un autre homme, il la tue. » N’est-ce pas là exactement la conclusion de cette brochure qui fit tant de bruit l’année dernière ? Le brillant dramaturge du XIXe siècle semblait avoir emprunté sa législation conjugale au censeur de l’antique société romaine. Tue-la ! disait Caton ; M. Alexandre Dumas a répété : tue-la !

Il est vrai que ce terrible droit de l’époux n’avait existé que dans les sociétés primitives, et qu’il se liait à tout un ensemble de croyances religieuses, croyances gardiennes du foyer et en même temps garantes de la justice. On peut voir cela tout au long dans le savant ouvrage de M. Fustel de Coulanges. A l’époque même où ce privilège du mari justicier n’avait pas encore péri avec la religion qui le consacrait, des changemens considérables l’avaient atténué peu à peu. « Il vint un temps, ajoute l’auteur de la Cité antique, où cette juridiction fut modifiée par les mœurs ; le père consulta la famille entière et l’érigea en un tribunal qu’il présidait. » M. Alexandre Dumas n’admet pas ces molles concessions ; il ne reconnaît d’autre tribunal que le mari, à la fois juge et bourreau, juge unique et bourreau immédiat, le mari interrogeant sa conscience et prenant son fusil. Voilà décidément un vieux Romain qui ne transige pas avec les principes.

Nous avons rappelé ces transformations des mœurs qui, même dans la Rome de Caton, atténuèrent le privilège des vieilles religions domestiques. L’objection n’est pas de nature à embarrasser M. Alexandre Dumas ; il y répond d’avance dans le titre de sa pièce. Qu’est-il arrivé, je vous prie, de la femme de Claude dans la société antique ? Elle quittait sans cesse le foyer conjugal, comme celle que vient de nous représenter le drame du Gymnase. Elle était effrénée dans le vice, et comme son mari, vrai type d’imbécillité, ne faisait plus attention à ses désordres, son impudence allait toujours croissant. L’idée du crime ne l’effrayait