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viendra, il faut le croire ; elle n’a pas dit encore son dernier mot. Pour le moment, il est évident qu’on s’est un peu hâté de prendre des paroles pour la réalité, de voir un commencement de solution dans ce qui ne peut pas être un projet présentable aux yeux de ceux-là mêmes qui le proposent. La commission n’est arrivée à rien parce qu’elle se trompe, parce que même en ayant l’air de faire des concessions elle ne peut se défendre d’un certain esprit de défiance et d’hostilité mal déguisé. À quoi bon tous ces subterfuges et ces précautions inutiles on injurieuses ? Ne voit-on pas qu’à force de subtilités on finira par arriver à violenter la nature même des choses, à méconnaître les conditions essentielles de toute une situation, à rendre impossible la marche des affaires ? Si on avait le malheur de croire à ces dangers de coups d’état contre lesquels on semble se prémunir, est-ce qu’on se figure sérieusement qu’on pourrait les conjurer par toutes ces minutieuses formalités de procédure parlementaire, par ces toiles d’araignée qui n’ont jamais arrêté les fauteurs d’attentats ? Si on n’y croit pas, qu’on nous passe le mot, c’est la plus singulière puérilité d’avoir l’air de se mettre en défense contre un ennemi imaginaire, de fonder sur la méfiance organisée les rapports de deux pouvoirs faits pour vivre ensemble, pour se retrouver chaque jour ensemble à la peine et à l’honneur dans les cruelles circonstances que nous traversons. M. le duc Decazes disait récemment que la situation de M. Thiers était exceptionnelle ; c’est justement parce que cette situation est exceptionnelle que la présence de M. le président de la république à la chambre n’est pas plus extraordinaire que tout le reste. Que dans l’intérêt d’une indépendance mutuelle on eût négocié avec M. Thiers pour obtenir de lui qu’il allât plus rarement à l’assemblée, qu’il se mêlât moins vivement, moins directement aux discussions qui s’agitent, rien de mieux, et dans ces termes, puisqu’on ne voulait pas aller jusqu’à un régime plus précis, c’était sans doute facile ; mais, les choses étant ce qu’elles sont, il faut l’avouer, on semble un peu trop frapper un homme d’exclusion ou de suspicion pour son expérience, pour son éloquence, pour la séduction de sa parole et de son talent. On prend des mesures contre le premier dignitaire de l’état. Telle est la situation. Il ne s’agit pas seulement en effet d’épargner à M. Thiers les excitations et les froissemens des luttes quotidiennes ; il s’agit de limiter la sphère de son action parlementaire, de le reléguer dans une sorte d’isolement, de tracer autour de lui comme une circonvallation qu’il ne pourra franchir que dans certaines occasions, dans certaines conditions ! Et quelle raison sérieuse peut-on invoquer pour justifier cette anomalie ?

M. Thiers, il nous semble, est député comme tout le monde, il l’est même un peu plus que tout le monde, puisqu’il est l’élu de vingt-six départemens, et il n’y a aucune espèce de disposition constitutionnelle qui lui enlève le droit de rester député. Lorsqu’il a été appelé au pou-