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de l’île de Terceire, où ces amusemens sont fréquens, le taureau, lâché sur la place publique, est attaché à un long câble que retiennent cinq ou six individus masqués et bizarrement costumés ; ses cornes sont garnies de tampons. Dans cet état, il ne peut guère que culbuter quelques-uns des assistans et les rouler dans la poussière. Pour lui, il reçoit de fortes volées de coups de bâton. Quand on le juge suffisamment roué, on l’entraîne hors du lieu de la lutte, et on le renvoie au pâturage sans autre accident.

Les bœufs de la même race, soumis au joug, se montrent assez dociles. On les attelle à des chariots dont la forme rappelle celle des chars antiques. Les roues de ces lourds véhicules ont environ 1 mètre de diamètre ; elles sont composées de pièces de bois pleines et garnies sur la circonférence de grosses têtes de clous coniques. L’essieu et les moyeux sont en bois. À chaque tour de roue, les moyeux, qu’on évite à dessein de graisser, font entendre les grincemens les plus dissonans ; les gens du pays prétendent que les bœufs refuseraient d’avancer, s’ils n’entendaient cette singulière musique. Quand le chariot est débarrassé de sa charge, le paysan qui le conduit se hâte d’y monter, et s’y tient debout dans la pose d’un triomphateur romain. L’aiguillon sur lequel il s’appuie est une forte baguette terminée par un bout de corne noire surmonté d’une petite pointe de fer et incrusté d’ornemens de cuivre ou d’argent. Un autre instrument que les campagnards des Açores portent encore plus volontiers est la faux à broussailles (fouce roçadoura), long bâton solide dont l’extrémité est garnie d’une forte serpe et d’un crochet. À diverses reprises, l’aiguillon et la faux ont été entre les mains des paysans des armes dangereuses, dont les anciennes administrations ont cru devoir, sous des peines sévères, réglementer la forme et la longueur ; mais aujourd’hui les mœurs des Açoriens se sont assez adoucies pour que de telles précautions soient devenues tout à fait inutiles. Le seul acte répréhensible que l’on puisse maintenant imputer aux habitans de Terceire, c’est leur résistance obstinée à la division des biens communaux, et surtout la destruction nocturne des murs de clôture élevés par les acquéreurs de ces propriétés.

Quand on franchit la crête occidentale du Caldeiraõ, on aperçoit un vaste plateau limité à l’ouest par le dôme de Santa-Barbara. Des pâturages qu’un peu de soin et une direction intelligente suffiraient à transformer en excellentes prairies occupent la majeure partie de cet espace. D’anciens cônes éruptifs s’y élèvent par groupes, et sont revêtus d’un riche tapis de verdure. L’humidité a tellement altéré la couche superficielle des lapilli dont ils sont composés que les pieds des bestiaux s’y enfoncent comme dans de l’argile. La struc-