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proques, mélange d’amitié sincère et d’involontaire hostilité. « Dorothée était rentrée de bonne heure d’une visite à l’asile qu’elle avait fondé dans le village. Assise à sa place ordinaire du petit salon qui séparait les chambres des deux sœurs, elle travaillait à un plan de construction rustique (depuis peu, elle se livrait passionnément à ce genre d’architecture), lorsque Célie, qui l’observait avec le désir craintif de parler, dit enfin : — Dorothée, ma chère, si vous vouliez, — si vous m’étiez pas trop occupée, — ne pourrions-nous pas regarder aujourd’hui les bijoux de notre mère, vous savez ?… et nous les partager. Il y a six mois ce matin que mon oncle vous les a remis, et vous n’avez pas encore ouvert l’écrin.

« Sur les jolis traits de Célie passa l’ombre d’une expression boudeuse ; si elle ne boudait pas tout à fait, c’était par crainte habituelle de Dorothée et de ses principes… À son grand soulagement, les yeux de Dorothée souriaient lorsqu’elle les leva vers elle. — Quel merveilleux almanach vous faites ! Comptez-vous, s’il vous plaît, par lunes ou par calendes ?

— Je compte du premier jour d’avril au dernier de septembre,… et je suis sûre que, depuis qu’ils dorment dans ce secrétaire, vous n’y avez même pas pensé une fois !

— Puisque, bien entendu, nous ne les porterons jamais ! — Son crayon à la main, elle faisait de petits profils sur les marges de son papier.

« Sa sœur rougit, prit un air grave. — Il me semble que c’est manquer de respect à la mémoire de notre pauvre mère que de les mettre ainsi de côté. D’ailleurs, — et elle étouffa un soupir, — les colliers sont redevenus à la mode… On a beau être chrétienne, sûrement il doit y avoir au ciel des femmes qui ont en ce monde porté des diamans.

— Vous aimeriez à les porter ! s’écria Dorothée avec l’étonnement qu’on éprouve en faisant une curieuse découverte. Alors tirons-les bien vite de ce secrétaire. Pourquoi ne l’avoir pas demandé plus tôt ? Mais les clés,… où sont les clés ? — Elle se prit la tête dans les mains comme si elle eût désespéré de sa mémoire.

— Les voici, dit Célie, qui avait depuis longtemps préparé cette explication.

— Ouvrez donc le grand tiroir, la cassette est dedans.

« Les divers bijoux furent bientôt répandus sur la table en une nappe étincelante. Ce n’était pas un écrin considérable ; mais quelques-unes des parures étaient vraiment belles. Dorothée prit un collier d’améthystes pour l’attacher au cou de Célie, auquel il s’ajusta comme un bracelet ; ce cercle étroit s’harmonisait bien avec son port de tête, qui rappelait celui de la reine Henriette-Marie, et elle put s’en apercevoir dans la glace.