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25,000 hommes capables de porter les armes, dont 1,500 nobles inscrits dans les arts majeurs. Les entrées du trésor montaient annuellement à 400,000 florins d’or ; le dixième de cette somme suffisait à couvrir les dépenses courantes. On fabriquait annuellement 100,000 pièces de drap qui valaient environ 60 millions de francs, et cette branche d’industrie occupait des milliers d’ouvriers. Les draps bruts des Flandres, du Languedoc et du nord de la France, repris par l’art de Calimala, reconditionnés, reteints, préparés au goût des peuples du Levant, auxquels ils étaient destinés, étaient pour le commerce local la cause de relations quotidiennes avec l’étranger. Jamais l’industrie florentine n’avait été plus prospère.

À cette époque, le roi d’Angleterre, Edouard III, était en guerre avec la France, et disputait comme héritier de saint Louis la succession à la couronne capétienne en dépit de la loi salique. La guerre de cent ans allait s’ouvrir. Ayant besoin d’argent pour donner suite à ses grands projets, Edouard III s’adressa aux banquiers florentins, qui depuis un siècle avaient été attirés et retenus en Angleterre par une foule de privilèges. De simples acheteurs de laines, ils étaient devenus les banquiers de la couronne britannique. On leur avait concédé comme garantie la ferme des douanes. Les riches maisons des Scali et des Frescobaldi avaient été peu à peu remplacées par celles des Bardi et des Peruzzi, alors non moins célèbres ; mais le moment vint où le roi d’Angleterre, à bout de ressources, engagé dans des opérations guerrières trop vastes, trompé par des comptables infidèles, ne put faire face à ses engagemens financiers, et annonça publiquement par un décret (1339) qu’il suspendait tout remboursement des créditeurs de l’état, même de ses chers Peruzzi et Bardi. Il devait à ces deux seules compagnies 1,355,000 florins d’or, « somme qui vaut un royaume, » nous dit Villani. Tous les marchands florentins intéressés dans les opérations des Bardi et des Peruzzi, une foule de familles qui avaient mis chez eux leur argent en dépôt, se trouvèrent compromis dans ce grand désastre, et le gouvernement guelfe en fut lui-même atteint. Un aventurier français, le duc d’Athènes, envoyé comme légat par le roi de Naples, allié de la république, s’empara du gouvernement et se fit nommer à vie seigneur de Florence. Comme il arrive d’ordinaire, l’usurpateur heureux rallia la majorité autour de lui. Les banquiers espéraient par son concours rétablir leurs affaires, les gibelins le soutenaient en haine des guelfes, le bas peuple enfin comptait sur le nouveau chef pour se débarrasser de la tyrannie des riches. Par ses excès, par ses cruautés, le duc s’aliéna tout le monde. Tous ceux qui l’avaient un moment soutenu se tournèrent contre lui, et on le chassa honteusement (1343).