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Tornaquinci ; les Bardi, d’abord nobles et partant gibelins, grands feudataires de la campagne florentine, s’étaient faits guelfes en entrant dans le corps des marchands. Comme on le pense, il y eut plus d’un récalcitrant, plus d’un noble qui s’obstinait à rester gibelin. Quelquefois aussi les deux partis essayèrent de se donner la main, de faire solennellement la paix, de prendre part ensemble aux affaires ; mais l’alliance fut toujours de très courte durée, et le parti guelfe domina presque sans conteste pendant plus d’un siècle, de l’an 1252 à l’an 1372. C’est l’âge d’or, le plus beau temps du commerce florentin. Toutefois ce serait mal connaître les partis que de supposer que les guelfes restèrent tout ce temps en paix avec eux-mêmes, et que l’ordre régna dans Florence. Il y avait entre les deux groupes majeur et mineur une animosité qui ne fit que s’accroître avec le temps. Le menu peuple, popolo magro, se révolta souvent contre le peuple riche, popolo grasso, et ces révoltes intestines, jointes aux querelles des guelfes et des gibelins, des blancs et des noirs, des Cerchi et des Donati, des Ricci et des Albizzi, qui ne s’éteignirent que le jour où les Médicis établirent définitivement le principat, composent toute l’histoire politique de Florence pendant le XIIIe, le XIVe et le XVe siècle. Ces révolutions presque quotidiennes n’empêchaient pas les affaires de marcher, tant il est vrai que, dans la vie des peuples comme dans celle des individus, il faut pour vivre lutter sans cesse. Il y avait du reste de part et d’autre un grand amour de la patrie. Les places étaient recherchées non point pour le maigre profit qu’on en tirait, mais pour l’influence qu’elles donnaient ; on les considérait aussi comme un devoir que le citoyen devait remplir de son mieux. Appelé par le suffrage populaire à occuper une fonction quelle qu’elle fût, on ne refusait pas.

La politique, le négoce et l’industrie ne faisaient pas oublier les lettres et les arts. C’est le moment de la vraie renaissance italienne. La langue et l’art national commencent à se former. Brunetto Latini, Dante, Dino Compagni, Villani, font oublier le latin et fixent l’italien dans leurs écrits. Cimabue et Giotto dégagent peu à peu la peinture de la froide imitation byzantine, la manière grecque comme on l’appelait, et dans l’architecture Arnolfo di Lapo, ou mieux di Cambio, qui de sa main puissante érige le palais des podestats, celui de la seigneurie et le dôme de Florence, annonce dignement Brunelleschi et l’immortel auteur des portes du baptistère. Giotto, non content d’être peintre, veut être aussi architecte, et il élève son inimitable campanile. Sous l’impulsion féconde de la liberté et des agitations locales, tous ces grands artistes développent spontanément leurs facultés, et dans les lettres, les arts, comme dans la