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avaient paré à tous les écarts. La démocratie florentine, envieuse et jalouse comme le sont toutes les démocraties, n’aurait du reste pas permis aux popolani grassi, aux gros bourgeois, de s’élever au-dessus du popolo minuto, du menu peuple, du peuple maigre, comme il s’appelait aussi, On mettait dans les affaires les bénéfices que l’on obtenait, on les consacrait à des œuvres pies ou d’utilité publique : de là tant de grandes choses extérieures qui se sont faites à Florence. Les Rucellai ont bâti presque à eux seuls l’église de Sainte-Marie-Nouvelle. Il est juste de dire toutefois que, les femmes aidant, on se départit en maintes circonstances de la sévérité des lois somptuaires. Dante est là-dessus fort explicite, lorsqu’il compare les mœurs des aïeux à celles des Florentins de son temps. Le sévère chroniqueur Villani jette les hauts cris quand les dames obtiennent du duc d’Athènes, investi de la seigneurie de Florence, la permission de porter de faux cheveux et de les laisser tomber en tresses sur le front ; il n’hésite pas à traiter cette mode d’indécente. M. S. Peruzzi, qui a publié sur les marchands et les banquiers de Florence au moyen âge un livre plein de curieux détails, calcule que la maison seule des Peruzzi (les trois frères vivaient ensemble chacun avec sa famille) abritait au commencement du XIVe siècle trente et une personnes, serviteurs non compris, et ne dépensait pas moins de 3,000 florins d’or, somme qu’il évalue à 120,000 francs par an de notre monnaie actuelle[1]. Quoi qu’il en soit, l’austérité de la vie était exigée par les lois, par les conditions politiques de cette république travailleuse et profondément démocratique ; elle ne souffrait d’exception que dans quelques cas particuliers. Les fêtes publiques étaient célébrées avec un grand éclat, les funérailles, les mariages aussi. Les lois somptuaires ne contrariaient point les dépenses d’église.

Les mœurs ont toujours conservé à Florence quelque chose de la simplicité antique. Le Florentin est naturellement sobre, économe. Il a gardé dans sa vie privée, demeurée modeste, quelques-unes des qualités de ses pères. Le peuple s’amuse sans désordre et ne trouble guère par l’ivresse la joie des fêtes publiques. Il donne tout au plaisir des yeux et de l’esprit, très peu au plaisir brutal ; il aime mieux le théâtre que la table, et les longues promenades au grand air que les stations au cabaret. Avec un verre de belle eau pure et une mince tranche de pastèque fraîche, on le voit l’été se désaltérer en pleine rue. On peut dire du Florentin qu’il est sobre comme l’Espagnol. Ainsi que les habitans de tous les pays caressés du soleil, il est resté ami du clinquant, des gros bijoux, des étoffes

  1. Storia del commercio e dei banchieri di Firenze dal 1200 al 1345, Firenze 1868.