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malheureusement pour eux les ouvriers n’ont aucune aptitude leurs sabres recourbés sont très mal faits, et leur petit poignard ne peut pas être d’une grande utilité. Ils se servent maladroitement des fusils de toute provenance qu’ils ont pu se procurer. L’arme nationale est la pique, dont la hampe est faite d’un roseau léger et en même temps très fort. Dans un temps où la plus faible inégalité dans l’armement et dans la tactique a de si graves conséquences, on peut se figurer quel est l’avenir d’un peuple aussi incapable de produire des armuriers que des généraux. L’organisation politique n’est pas faite pour suppléer à ce qui manque du côté militaire. Le seul pouvoir reconnu, celui des « bons, » qui comprennent les plus âgés, les plus riches, les plus braves, les plus intelligens, a sans doute une influence considérable quand il s’agit des relations des clans ; mais cette influence est nulle dans les affaires privées, surtout dans les affaires criminelles. En dehors des expéditions, le Turcoman, dans ses rapports avec les membres de son clan, ne montre pas une humeur plus féroce que les autres Asiatiques.

On ne doit point s’attendre à ce qu’une société ainsi constituée donne pour base à la famille d’autre droit que celui de la force. Tandis que la Perse, où l’élément aryen a joué un si grand rôle, où la vie intellectuelle a eu autrefois un si grand développement fait à la femme des concessions considérables, jusqu’à lui accorder, comme en Russie, la libre administration de son bien, le Turcoman ne voit en elle que l’ouvrière dont l’activité doit suppléer à son incurable paresse. Il vit en effet noblement, comme on disait autrefois, car, lorsqu’il n’est pas occupé par quelque expédition entreprise pour enlever les Persans qu’il vend sur les marchés du Turkestan, surtout à Khiva, sa vie entière appartient à la plus honteuse oisiveté. L’existence de ses femmes ne diffère guère de celle des esclaves exposés par leur mari sur les marchés de l’Asie centrale. Elles disent elles-mêmes qu’elles sont trop pauvres pour se conformer aux usages des villes, c’est-à-dire pour se voiler et se dérober aux regards des étrangers ; mais, comme dans les plus dures conditions l’instinct féminin ne se dément jamais, elles ont aussi leur coquetterie et leurs élégances. La coiffure attire surtout les regards dans le costume des jeunes et riches Turcomanes. Cette coiffure, qui est réservée pour les solennités, ressemble à un énorme shako orné d’or, d’argent, de pièces de monnaie et de pierres précieuses.

M. Vambéry, qui a consciencieusement étudié les habitudes des Turcomans, dit que leurs occupations et leurs mœurs fourniraient la matière d’un volume bien rempli, tant elles diffèrent des nôtres. Leur vie est éminemment féodale, elle se partage entre la guerre et le repos sous ces tentes solides, fraîches en été, tièdes en