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L’amas sous-marin formé par l’accumulation des scories ne s’était pas élevé jusqu’au niveau de la mer, ce que l’on peut expliquer par la grande profondeur de l’eau dans les points où s’était opéré le dépôt des matériaux rejetés par le volcan et aussi par la courte durée des phénomènes. A partir du 2 juin, les secousses du tremblement de terre, sans cesser complètement, deviennent très rares et assez faibles pour ne plus inspirer aucune inquiétude; quant à l’éruption elle-même, dès le soir du 5 juin, elle est en décroissance, la projection des gros blocs cesse tout à fait. Le 7 juin, il n’y avait plus aucune pierre lancée, et le même jour, vers dix heures du soir, les vapeurs elles-mêmes avaient disparu. La période active de l’éruption avait donc en tout duré sept jours.

Cette cessation brusque des phénomènes était assez extraordinaire pour me faire douter que tout fût terminé. La pensée que les moins apparens de ces phénomènes pouvaient bien s’y prolonger encore, loin de tout regard humain, me fit concevoir le projet d’explorer en bateau la petite étendue de mer que les habitans de Terceire considéraient comme ayant été le siège de l’éruption. Une nuit, par un léger vent d’ouest, je m’embarquai dans le port d’Angra. Le patron d’une petite chaloupe avait consenti, non sans peine, à me conduire au lieu désigné. A la pointe du jour, nous étions en face de la côte occidentale de Terceire, et, tandis que le bateau voguait lentement vers le but présumé de l’excursion, je pus admirer à loisir l’imposant panorama que cette région de l’île, vue de la mer, offre aux regards à cette heure matinale. À droite, au-dessous du village de Santa-Barbara, une falaise de 400 mètres de haut, composée de bancs de lave noirâtre et de couches de scories d’un rouge foncé; à gauche une épaisse coulée de lave trachytique descendant le long des pentes comme un long ruban grisâtre, dont la couleur claire contraste avec le ton foncé des laves basaltiques environnantes et avec la teinte vigoureuse des nombreux figuiers qui épanouissent leur feuillage épais à l’abri des roches; enfin, au-dessus de tout cela, la cime de la caldeira de Santa-Barbara, enveloppée d’une calotte nuageuse. La sauvage falaise du premier plan était encore dans l’ombre pendant que les plus fins détails du paysage voisin se trouvaient éclairés sous une faible incidence par les limpides rayons du soleil naissait. A la distance où nous étions de la côte, les villages avec leurs nombreux toits de chaume et leurs églises aux blanches façades, cachés dans les profondes découpures du terrain, ressemblaient à des jouets d’enfant.

A mesure que le soleil s’élevait au-dessus des crêtes de la montagne, nous approchions du point désigné par les renseignemens assez vagues qui m’avaient été donnés à Angra. Nous jetions de temps en temps la sonde pour reconnaître s’il n’existait pas dans