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grande part n’en consacre-t-il pas à des dépenses inutiles ou même nuisibles? Incapable de prévoir, l’esprit borné au présent, il n’apprécie pas la puissance émancipatrice de l’épargne. Avide d’excitations violentes et matérielles, trop souvent il ne goûte que les plaisirs des sens, et, s’il gagnait plus, ce ne serait que pour dépenser plus. Veut-on qu’une augmentation de salaire soit pour le travailleur un moyen de s’affranchir, qu’on lui donne, par l’instruction, le goût des plaisirs de l’esprit et de la prévoyance. » Et ce raisonnement se trouve appuyé par des faits nombreux et bien choisis, prouvant jusqu’à l’évidence que, pour qu’un peuple produise beaucoup et dispose sagement de ses produits multipliés, il faut qu’il soit éclairé.

Les classes inférieures ne sont pas les seules qui profitent de l’instruction qu’on revendique pour elles, c’est dans l’intérêt de la société tout entière et surtout des classes élevées qu’on la demande. « Un grand danger, dit M. de Laveleye, peut menacer la civilisation. Si, en même temps que le besoin de bien-être se généralise dans le peuple, les lumières et la moralité se répandent dans toutes les classes de façon à inspirer aux uns la justice et aux autres la patience qu’exigent les réformes pacifiques, le progrès régulier est assuré; mais, si l’on maintient en haut l’instruction, la richesse et l’égoïsme, en bas l’ignorance, la misère et l’envie, il faut s’attendre encore à de terribles bouleversemens. » Du reste, c’est une vérité généralement admise maintenant que le suffrage universel sans l’instruction universelle conduit à l’anarchie et par suite au despotisme.

S’il en est ainsi, l’intervention de l’état dans l’enseignement primaire est indispensable, et il n’était vraiment pas nécessaire de le démontrer. C’est pour l’état un acte de légitime défense. Toutefois, si M. de Laveleye consacre un chapitre à cette question, c’est pour répondre non à ceux qui prétendent que l’initiative privée fera tout, mais à ceux qui offrent de se charger de la tâche à leur profit. On comprend qu’il s’agit du clergé. Or comment répond M. de Laveleye à cette offre? En démontrant, par l’exemple de Naples et du Portugal d’une part et de l’Angleterre de l’autre, le fait suivant : tant que l’église a seule été chargée de l’instruction populaire, celle-ci a été à peu près nulle, et si elle ne fait pas de progrès dans certains pays catholiques depuis que l’état s’en occupe, c’est surtout par suite de l’hostilité du clergé. Lorsque le clergé a été le maître absolu, il n’a rien fait, et maintenant qu’il a cessé de l’être, il empêche les autres de faire mieux que lui. D’ailleurs, dans les deux pays les plus réfractaires à l’intervention de l’état, l’Angleterre et l’Union américaine, l’action de l’état se fait de plus en plus sentir, à la satisfaction croissante de tous les partis.

Passe encore pour l’intervention de l’état quand il se borne à subventionner les écoles, à les faire participer aux largesses du trésor ; mais