Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/473

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

colique entre les mains du caduc monarque trépassant, devient dans l’opéra un talisman comme le pied de mouton ; elle donne le pouvoir, confère les droits souverains à qui la possède ; « par elle, tout est possible. » Aussi tout le monde se la passe. Au moment d’expirer, le roi la confie à son fou de cour en lui recommandant de ne la remettre qu’au plus digne, et voilà ce maître Triboulet improvisé du coup grand-électeur de l’empire. Qui maintenant choisira-t-il ? Personne. Il toise dédaigneusement cette tourbe officielle qui se rue au-devant des camouflets d’un vil bouffon, et superbe, ironique, d’un geste écrasant de mépris, il lance la coupe dans les flots. « Mon amour à qui me la rapportera ! » s’écrie aussitôt sa majesté la reine. Tudieu ! belle dame, comme vous y allez ! Le roi Richard à Bosworth n’offrait pour un cheval que son royaume, et vous, vous mettez à l’encan votre personne auguste et sacrée pour un joyau.

Elle vendit son amour de colombe
Pour un bijou !

Bien fol en effet ce pauvre pêcheur de perles qui relève à l’instant le défi et plonge au fond de l’océan pour rattraper la coupe ! Il se nomme Yorick, c’est cet éternel ver de terre amoureux d’une étoile qui, depuis Ruy Bias, traîne partout. Suivons de notre mieux ses évolutions sous-marines, pénétrons avec lui dans la grotte des sirènes et saluons Claribel, la déesse de céans. Claribel, c’est Mlle Rosine Block avec une perruque blonde. Et dire que devant cette éblouissante océanide le pêcheur Yorick reste froid ! Elle l’aime pourtant, elle, la reine des Ondines, et quand il remonte vers la terre avec sa coupe reconquise, lui promet d’accourir à son premier appel. Bonne fille au demeurant que cette Claribel, et qui ne ressemble en rien aux créatures néfastes et démoniaques de la tradition légendaire. Voyez Goethe, Uhland, Justin Kerner, Arnim, Edouard Moerike, tous les poètes qui ont vécu dans la familiarité des esprits élémentaires, leurs nixes sont des êtres fallacieux, mauvais, des types de séduction et de perfidie, de gracieux vampires à couronne de nénufar. Écoutez, dans Moerike, l’histoire de l’enchanteur Dracon et de la belle Liligi. « La princesse s’endort, et pendant son rêve il lui semble qu’elle entend les harmonies des sphères ; Dracon alors s’empare du corps inanimé de la jeune fille, et, porté sur son manteau fantastique, gagne l’océan, y plonge avec sa proie et va frapper à la porte de corail, amenant aux sept sœurs Liligi, qui sera nixe un jour. » Les forces élémentaires ne séjournent pas seulement sous les eaux, le naturalisme du nord en a peuplé la création. Comme l’océan et les fleuves, la terre et l’air ont une vie mystérieuse ; mais ce que toutes ces forces ont de commun, c’est qu’elles sont également hostiles à la race