Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ral de Roon président du conseil effectif et définitif du ministère prussien. Ainsi M. de Bismarck, restant toujours chancelier de l’empire d’Allemagne, se trouve n’être plus que simple ministre dans un cabinet dont il était, il y a peu de jours encore, le chef presque souverain et incontesté. C’est là le fait ostensible. Quel en est le caractère politique ? Cette évolution ministérielle est-elle ce qu’on peut appeler un événement ? Est-ce enfin une épreuve inattendue pour l’ascendant de M. de Bismarck, qui se serait vu obligé de plier momentanément devant des difficultés extérieures ou intérieures qu’il ne voudrait pas aborder de front ?

C’est ici précisément que commence le conflit des commentaires et des interprétations. Non, disent les uns, la dernière crise de Berlin n’a aucune signification sérieuse, encore moins est-elle un échec pour l’influence du chancelier. M. de Bismarck a voulu tout simplement alléger son fardeau, écarter de lui les détails fatigans du gouvernement. Aujourd’hui aussi bien qu’hier il reste l’arbitre de la situation. Comme chancelier de l’empire, il garde la direction de la politique allemande ; comme ministre des affaires étrangères, il garde sa place dans le cabinet prussien, et là où il est il ne peut y avoir aucune prépondérance rivale. Il est l’âme du conseil, l’inspirateur de toutes les résolutions. C’était le cabinet Bismarck, c’est encore le cabinet Bismarck. Il n’y a rien de changé, la direction reste invariable ; les réformes libérales entreprises ou encouragées par le chancelier ne seront pas interrompues ; la guerre engagée contre le cléricalisme, contre Rome, sera continuée. Ainsi parlent les amis de M. de Bismarck, et ce qu’il y a de curieux, c’est que ceux qui désireraient le plus que la dernière crise eût toute l’importance d’une sérieuse évolution politique affectent la même incrédulité. Ils ne croient pas du tout à une modification dans les affaires de la Prusse. Tout récemment un des orateurs les plus habiles de l’opposition catholique dans la chambre de Berlin, M. Windthorst, rappelait que le changement de ministère avait eu lieu le jour de la fête de saint Thomas l’incrédule, et il ajoutait : « Moi aussi, je reste incrédule quand on me dit que ce changement est le prélude d’un revirement dans la politique intérieure. Je verrais avec joie le gouvernement sortir de la fausse voie où il est entré ; mais je ne puis pas l’espérer. »

Est-il bien vrai cependant que la dernière crise berlinoise n’ait eu qu’un caractère et des résultats absolument insignifians ? Sans doute, disent bien d’autres, le prince de Bismarck ne cesse pas d’être le personnage le plus considérable de la Prusse et de l’Allemagne, dont il a renouvelé la fortune, et sa prééminence n’est point menacée. Il n’a point eu à subir un échec d’influence, puisqu’il n’y a point eu de lutte ostensible, puisque rien ne s’est fait qu’avec son concours, sur sa demande, selon le désir qu’il a exprimé au roi. Il n’est pas moins certain