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routine et à la corruption? Ces moisissures administratives, dont l’air renfermé des bureaux favorise naturellement l’éclosion, ne sont-elles pas d’autant plus dangereuses qu’elles sont moins visibles? La machine continue de fonctionner avec toutes les belles apparences de l’ordre, car chacun se croit intéressé à dissimuler le désordre; mais c’est le dessous qu’il faudrait voir ! Une administration affranchie du contrôle incessant de ceux qui la paient, le seul contrôle vraiment efficace, ressemble à un navire dont la coque est rongée par les tarets; il conserve jusqu’au bout sa belle apparence, il continue à tenir la mer jusqu’à ce que ses invisibles ennemis aient achevé leur tâche : alors vienne une bourrasque, les œuvres vives se désagrègent et s’émiettent, l’eau y pénètre de toutes parts, et le bureau Veritas inscrit un sinistre de plus.

Ce travail de désagrégation lente, mais continue et irrémédiable, aurait seul suffi pour amener l’effondrement de la dictature impériale. Toutefois une autre cause de dissolution, plus active quoique en réalité moins redoutable, lui venait en aide : nous voulons parler de l’opposition croissante que ce système de gouvernement devait soulever parmi les esprits libéraux. Au début, la frayeur qu’inspirait le « spectre rouge » avait été assez forte pour refouler toute opposition; peu à peu, on s’était rassuré, on avait oublié le spectre rouge, devenu invisible, et on avait repris goût à la liberté, dont on apercevait d’ailleurs mieux l’utilité depuis qu’on était obligé de s’en passer. L’opposition libérale alla donc en grandissant, les libéraux les plus ardens poussèrent même l’oubli du péril passé jusqu’à s’allier avec les révolutionnaires pour renverser l’empire; d’autres essayèrent au contraire de le convertir, et ils purent croire un moment qu’ils avaient réussi. L’empire consentit à faire l’expérience de la liberté; mais cette expérience, eût-elle été parfaitement sincère, pouvait-elle tourner à bien? Un gouvernement fondé exclusivement sur la souveraineté du nombre pouvait-il donner la liberté sans sacrifier la sécurité? En accordant la liberté électorale, la liberté parlementaire, la liberté de la presse et des réunions publiques, l’empire abdiquait en faveur de cette dangereuse souveraineté, il lui abandonnait de nouveau les intérêts conservateurs, et il s’exposait ainsi à être abandonné par eux. Avait-il du moins quelque espoir de se concilier en échange l’opposition libérale et révolutionnaire? Non; celle-ci était irréconciliable, elle le lui avait signifié, et le lui prouvait d’ailleurs chaque jour en se servant de toutes les libertés qu’il concédait pour le démolir. L’empire se perdait donc, ou, pour mieux dire, précipitait sa perte, devenue inévitable, en tentant une expérience incompatible avec son principe. Il s’en aperçut trop tard; il essaya alors du