Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pugnance que cette dictature devait inspirer aux âmes libérales; mais les intérêts passent avant les sentimens, et l’empire pouvait leur donner, temporairement du moins, une sécurité que le régime établi par la constitution de 1848 était hors d’état de leur procurer. Ce n’est pas que l’empire eût supprimé le suffrage universel : non ! il l’avait au contraire rétabli; seulement il s’était réservé la faculté de le diriger. Grâce au système des candidatures officielles, servi par une administration vigoureusement centralisée et passivement obéissante, grâce encore au régime préventif appliqué avec vigilance à la presse, aux associations et même aux simples réunions, grâce surtout à cette nouvelle édition de la loi des suspects, décrétée sous le nom de loi de sûreté générale, la liberté électorale devint une pure fiction, et le gouvernement put dicter presque entièrement les choix du suffrage universel. Il nommait lui-même son sénat, et il faisait nommer son corps législatif. D’ailleurs, si même la direction du corps électoral était venue à faiblir entre ses mains, il avait, par un surcroît de précaution, diminué la liberté parlementaire en dépouillant le corps législatif de toute initiative, en réglementant jusqu’au vote des budgets, et finalement en se réservant le droit de dissolution. Il n’avait donc rien à craindre de la souveraineté du nombre : il avait muselé le monstre, et il le menait à la baguette, tout en affectant pour lui les sentimens de la plus respectueuse considération et du plus parfait amour. Ce régime fonctionna., on le sait, pendant quinze ans, avec toute l’efficacité désirable. L’empire ne fut autre chose, dans cette période principale de son existence, qu’une dictature politique, militaire et administrative, acceptée ou subie comme seule capable de préserver la société d’une invasion révolutionnaire ou légale de la démagogie et du socialisme. Cependant était-il dans la nature des choses qu’une telle dictature pût se perpétuer? Deux dissolvans agissaient lentement, mais avec une irrésistible puissance pour le ruiner.

L’un de ces dissolvans résidait dans cette absence même de liberté qui fait vivre les dictatures et qui les tue. Comme l’avouait un jour le dictateur lui-même, « son gouvernement manquait de contrôle; » cet aveu révélait l’irréparable faiblesse de ce gouvernement fort. Au dehors, la dictature impériale pouvait gaspiller le sang et les ressources de la France dans les aventures les plus folles et les plus dispendieuses sans rencontrer un frein dans l’opinion publique, privée de ses outils nécessaires, la liberté électorale, la liberté parlementaire, la liberté de la presse et la liberté d’association; au dedans, ce même défaut de contrôle, en livrant l’administration civile et militaire à elle-même, ne devait-il pas, en dépit de toutes les réglementations et de toutes les inspections, laisser beau jeu à la