Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/448

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en laissant vacantes par cette sorte de grève politique les situations les plus enviées de l’état; une autre partie se ralliait au nouveau régime comme un simple appoint et sans pouvoir élever la prétention d’y occuper une position séparée et dominante. La classe dirigeante devenait ainsi presque homogène, ce qui n’était pas un médiocre avantage; en outre sa base, élargie par l’adjonction des censitaires de 200 francs à 300 francs, paraissait mieux assise; enfin elle avait à sa tête un roi animé de son esprit, et qui se piquait volontiers d’être le premier bourgeois de son royaume. Il semblait donc bien cette fois qu’on eût réussi à fonder un établissement politique définitif et à clore « l’ère des révolutions. » Cependant la monarchie de la branche cadette n’a duré que trois ans de plus que celle de la branche aînée, elle est tombée à l’improviste, sans avoir provoqué sa chute par aucune tentative inconstitutionnelle, simplement pour avoir refusé une insignifiante réforme électorale. Comment s’expliquer cet effondrement inattendu d’un régime qui semblait si correctement établi au point de vue des doctrines constitutionnelles du temps ?

Cette explication, un seul mot suffit pourtant à la contenir tout entière : c’est le mot monopole. Le gouvernement avait continué d’appartenir d’une manière exclusive sous la monarchie de juillet à un « pays légal » dont les frontières s’étaient à la vérité un peu élargies, mais en dehors duquel demeurait encore la majorité numérique, et avec elle une grande partie de l’élite intellectuelle de la nation, ce qu’on appelait alors les capacités. La classe des censitaires à 200 fr., au nombre de 200,000 environ, possédait littéralement comme un monopole le gouvernement de la France. Or c’est le propre du monopole d’engendrer des abus qui deviennent à la longue insupportables tout en l’affaiblissant et pour ainsi dire en le dévorant lui-même. Déjà sous la restauration, dont la monarchie de juillet avait recueilli l’héritage, la grande propriété foncière et la grande propriété industrielle, prédominantes dans le pays légal, avaient réussi, en se coalisant au sein des chambres, à confisquer à leur profit la liberté commerciale, en même temps que les emplois publics commençaient à être accordés bien moins au mérite qu’aux influences électorales. A ses débuts, le gouvernement de juillet, qui avait pris ses ministres dans la jeunesse libérale de la restauration, voulut entrer dans la voie des réformes économiques; malheureusement il rencontra dans la coalition des intérêts demeurés prépondérans une barrière infranchissable. Non-seulement il fut obligé de conserver le régime prohibitif, mais encore il fut contraint de l’aggraver dans quelques-unes de ses parties pour obéir aux influences qui s’imposaient à lui; à plus forte raison ne put-il songer à réformer la légis-