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nouveau. Les sociétés à esclaves de l’antiquité ont eu leurs guerres serviles, le moyen âge a eu ses jacqueries, et la lutte que nous avons vue renaître entre le capital et le travail n’est autre chose qu’un prolongement ou une reprise de ces luttes anciennes. Seulement des circonstances particulières à notre temps, la centralisation industrielle, le développement extraordinaire des moyens de communication intellectuelle et matérielle, ont contribué à les généraliser. Ni les esclaves ni les serfs ne savaient lire, et dans l’état d’isolement où ils vivaient il leur était difficile de combiner leurs révoltes contre un ordre social dont ils étaient victimes, mais qu’il eût été, au surplus, hors de leur pouvoir de modifier. Il n’en est plus de même aujourd’hui. La classe qui occupe les régions inférieures de la société a cessé d’être disséminée et assujettie : des centaines de milliers d’ouvriers sont agglomérés dans les grands centres d’industrie; les plus intelligens ont reçu les premiers rudimens de l’instruction, ils ont leurs journaux, et à défaut de réunions autorisées n’ont-ils pas les conversations du cabaret et de l’atelier? Il leur est permis de s’entendre, de se liguer pour soutenir ou pour augmenter le prix de leur travail; comment d’ailleurs le leur défendre? Ces circonstances réunies ne favorisent-elles pas singulièrement la propagande et les tentatives de subversion du socialisme révolutionnaire? Dira-t-on que les classes inférieures n’ont plus contre la société les griefs qui suscitaient les révoltes des esclaves et des serfs? Soit; mais elles en ont d’autres, et, pourquoi ne le dirions-nous pas? il y en a bien quelques-uns de fondés, car la société où nous vivons est perfectible, elle n’est pas parfaite. Nous ajouterons même que les maux qui naissent de ses imperfections, de ses vices, doivent être surtout ressentis par la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Comme dans les grandes compagnies industrielles ou financières ce sont les petits actionnaires qui pâtissent le plus des fautes ou des abus de la direction, dans une société la mauvaise gestion des affaires publiques, les dépenses improductives ou nuisibles auxquelles se livre le gouvernement, les privilèges qu’il accorde, la corruption qu’il entretient, retombent principalement sur le grand nombre, dont ils augmentent les charges et tarissent les ressources.

Allons plus loin, et convenons que la liberté n’a pas été pour les classes ouvrières une source de biens sans aucun mélange de maux. Lorsqu’elles ont été émancipées de la tutelle de leurs maîtres détestés, avaient-elles bien le jugement assez formé pour se gouverner utilement elles-mêmes? Déclarées majeures et comme telles astreintes à toutes les obligations que la majorité impose, possédaient-elles bien la capacité nécessaire pour s’en acquitter? La nature n’é-