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fermées de son territoire; elle ne le peut plus depuis que ses frontières sont devenues perméables au courant sans cesse grossissant de la civilisation générale. Du moment par exemple où elle entr’ouvre une porte aux échanges extérieurs, elle subit, quoi qu’elle fasse pour s’y soustraire ou pour en amortir l’effet, l’action de la concurrence. Elle est obligée de se tenir au niveau du progrès général dans toutes les branches de sa production, sous peine d’être débordée par ses rivales, et de subir un amoindrissement absolu ou relatif des ressources qui sont les matériaux de sa puissance. La concurrence internationale suscite, fomente le progrès chez tous les peuples que l’expansion irrésistible de l’industrie, servie par des voies de transport multipliées et perfectionnées, a mis en communication; elle leur est un aiguillon puissant et inexorable qui les pousse en avant, mais qui peut aussi infliger des blessures mortelles à ceux dont la liberté d’action est entravée ou mutilée.

Ce n’est pas tout encore. Les gouvernemens modernes ont bien d’autres fonctions que celles qui consistent à garantir la sécurité intérieure et extérieure de l’état, la propriété et la liberté des citoyens, quoique celles-ci soient de beaucoup les plus importantes. Ils empiètent continuellement sur le domaine de l’activité privée, et leurs attributions vont en s’étendant à mesure que leur intervention semble devenir moins nécessaire. Ils distribuent l’instruction à tous les degrés, ils encouragent et subventionnent les arts, ils créent et ils exploitent les voies et les instrumens de communication; enfin ils se croient obligés d’exercer « une tutelle administrative » sur de nombreux intérêts. Ces fonctions, jointes aux services qui sont plutôt de leur ressort naturel, savoir la garantie de la sécurité et de la liberté, exigent le concours d’un personnel nombreux, actif, instruit et par-dessus tout inaccessible à la vénalité et à la corruption. Ce personnel, on ne l’improvise pas plus que dans toute autre branche de l’activité humaine. Il ne peut se former qu’à la longue, par des générations successives engagées dans les divers services d’un gouvernement, l’administration, la justice, l’armée, l’enseignement, et qui s’en lèguent en la grossissant l’expérience acquise sous le nom de tradition. Sans doute il n’est pas bon que ces services soient monopolisés au profit d’une caste, et le régime des maîtrises gouvernementales ne vaut pas mieux que celui des maîtrises industrielles. En revanche, on ne peut contester que l’hérédité libre des fonctions ne procure des avantages analogues à ceux dont elle est la source dans les professions et les industries privées. Gouverner et administrer un état avec un personnel temporaire, continuellement renouvelable au gré du caprice populaire, ne serait pas plus facile