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Quinze jours plus tard, je pénétrais dans Alvarado. Je me logeai d’abord chez un pêcheur; mais mon ami don Salustio Mendez, qui passait deux mois de l’année à surveiller la pêche des crevettes, dont sa maison de Vera-Cruz faisait un important commerce, exigea que je devinsse son hôte. Sa jeune femme, doña Esteva, m’accueillit avec cette aménité qui rend sa beauté si touchante. Deux jolis enfans, l’un âgé de sept ans et l’autre de cinq, devinrent bientôt mes amis. L’aîné, Juan, possédait de véritables dispositions pour l’histoire naturelle. Ce petit bonhomme renonçait à ses jeux pour m’aider à trier le sable que je rapportais de mes excursions. Sa sœur, Lola, s’amusait beaucoup de mes lunettes; c’étaient deux bons et aimables enfans.

Pendant plus d’un mois, je vécus presque exclusivement sur la plage, bravant le soleil, les orages, la soif et la faim. En vain mon hôtesse essayait de me retenir, je m’échappais pour gravir les collines, sonder les anses, épier les flots; j’allai jusque sous l’eau chercher de nouveaux échantillons de sable. Sans cesse déçu, je rentrais épuisé. J’étais consolé par doña Esteva, dont l’âme valait encore plus que le visage, et réconforté par don Salustio, homme aussi énergique qu’intelligent, bien que dans la nature il ne vît que quatre choses dignes d’attention, — sa femme, ses deux enfans, et les crevettes qui l’enrichissaient.

Un soir, je revins couvert de boue. J’avais traversé la baie pour gagner la rive boisée qui borne la colline sablonneuse dite du grand Simon. Là, entre des racines de palétuviers, j’avais découvert des huîtres, des spondyles, des anodontes, et je rapportais ma charge de sable. Tandis que je changeais d’habit, le petit Juan, toujours prêt à se servir de ma loupe, examinait le sable brillant que je venais d’étendre, afin de le sécher, sur une fine étamine de laine.

— Voilà une bête qui est toute drôle, s’écria soudain l’enfant; dis donc, Bernagius, tu me la donneras, si elle ne te sert pas?

— Certes; mais ne te salis pas les mains, tu sais que l’on nous attend pour dîner.

— Bon ! reprit Juan, encore une bête pareille à la première ! Cette fois, j’en veux une.

En ce moment, doña Esteva apparut à la porte de ma chambre appuyée sur le bras de son mari. Elle avait vingt-trois ans, son mari trente, ils formaient le plus gracieux couple que l’on puisse rêver.

— Vite, docteur! dit la jeune femme, nous avons de ces gâteaux de maïs que vous aimez tant; ne les laissez pas refroidir.

— Je suis à vos ordres, répondis-je en offrant le bras à mon hôtesse.