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depuis vingt ans, depuis qu’il s’est produit un renchérissement général pour tout ce qui sert à la vie? A part le rentier, qui, je le répète, est dans une situation exceptionnelle, — encore ne s’agit-il que de celui qui a des rentes fixes et invariables, car les autres sont associés au progrès de la richesse, — y a-t-il quelqu’un qui soit dans une situation pire qu’avant ce renchérissement? Les salaires, les profits, n’ont-ils pas augmenté dans une proportion au moins aussi grande? Si on voulait faire une enquête spéciale en ce qui concerne la main-d’œuvre notamment, on trouverait que partout en France elle s’est élevée encore plus que le prix des choses.

Il y a dans les ouvrages de Bastiat un chapitre intitulé Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas; on peut en faire l’application à la matière de l’impôt. Ce qu’on voit, ce sont ceux qui paient d’abord les taxes; ce qu’on ne voit pas, ce sont ceux sur lesquels elles retombent en définitive. De quelque façon que vous vous y preniez, a dit justement M. Thiers dans son livre de la Propriété, l’impôt portera toujours sur la consommation, et comme la consommation se fait avec le produit brut de la société, c’est ce revenu qui en fin de compte supportera les taxes proportionnellement à son importance. Il ne peut pas en être autrement; arrive maintenant une nouvelle objection : on demande quelle sera la situation de celui qui ne dépense pas tout son revenu, qui en économise une partie? Celui-là, dit-on, ne paiera pas l’impôt en raison de sa fortune. S’il économise en effet pour thésauriser ou pour jeter à la mer le surplus de ses besoins, il échappera nécessairement à l’impôt pour la partie de son revenu dont il fera un tel usage ; mais il se privera lui-même en privant la société. Si au contraire il économise pour tirer parti de ses épargnes, soit en les employant directement, soit en les plaçant, alors il n’y échappera pas. Il le paiera par ses propres consommations, ou par celles que fera la personne à laquelle il aura prêté son argent. Celle-là lui donnera un intérêt moindre que si les denrées étaient affranchies de tout droit. Par conséquent l’impôt est toujours supporté par le revenu, toujours égal et toujours proportionnel. Et s’il n’y avait que ce côté du débat à examiner, bien que ce soit le plus discuté et celui à propos duquel on fasse le plus de bruit, il n’aurait pourtant pas grande importance. Ce qui domine, c’est le point de vue économique, c’est la question de savoir quel est, dans l’intérêt général, le moins fâcheux ou de l’impôt qui porte sur les objets de grande consommation, ou de celui qui frappe les choses de luxe. Voilà celui des boissons par exemple qui est porté pour 318 millions au budget de 1872 en grevant le litre de vin en moyenne de 5 à 6 centimes; il ne peut pas avoir d’effet bien nuisible. Pour trouver la même somme, non pas dans une seule