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velléités belliqueuses, sera de longtemps dans l’impossibilité absolue de faire la guerre. L’histoire offre peu d’exemples d’un épuisement, d’un écrasement aussi complet que celui de ce malheureux pays. La misère est telle à l’Assomption que les enfans, exténués par la faim, ramassent derrière les voitures de subsistance des Brésiliens les grains de maïs qui en tombent. Le désordre financier et administratif dépasse ce qu’on pourrait supposer. Il y a des personnes qui prétendent que la population paraguayenne serait descendue à 250,000 âmes, et que les habitans du sexe masculin n’entreraient dans ce dernier chiffre que pour 50,000 individus, dont la moitié serait composée d’enfans au-dessous de quatorze ans. La ville de l’Assomption compte environ 12,000 âmes, auxquelles il faut ajouter 300 soldats paraguayens, 250 argentins et 2,500 Brésiliens. L’armée paraguayenne ne se compose que de 500 à 600 soldats, dont beaucoup n’ont pas plus de 15 à 16 ans. Le pays est un immense désert.

A l’heure qu’il est, le Brésil domine le territoire paraguayen. Il a dans l’île de Cerrito une garnison nombreuse, avec 1 cuirassé, 4 monitors, 1 aviso, 1 canonnière au mouillage. Un camp brésilien de 2,000 hommes occupe cette fameuse position d’Humaïta, qu’une simple chaîne et une estacade défendirent pendant deux ans contre les flottes des alliés. Six bâtimens de guerre et douze transports brésiliens sont dans la rade de l’Assomption. Un matériel considérable est concentré à Corumba sur le Paraguay, dans la province de Matto-Grosso. Malgré ses désastres, la république paraguayenne n’est pas exempte d’agitations intérieures. Le président Rivarola, après avoir pris des mesures illégales, a déposé ses pouvoirs, et a quitté l’Assomption vers la fin de 1871. Le 12 décembre de la même année, la nouvelle chambre l’a déclaré déchu et a confié le pouvoir exécutif à M. Salvador Joveilanos, nommé pour trois années vice-président de la république. La sécurité des personnes et des propriétés a été souvent compromise, et la situation du pays n’est pas sans offrir certaines ressemblances avec celle de San-Francisco lors de sa fondation, moins l’influence organisatrice du génie américain. Plusieurs étrangers ont été les victimes de meurtres odieux, et le chargé d’affaires de France à Buenos-Ayres, M. le comte Amelot de Chaillou, qui est également accrédité à l’Assomption, a fait récemment un voyage spécial dans cette ville pour y réclamer la poursuite et le châtiment des coupables.

Ces crimes isolés seront punis comme ils doivent l’être ; mais il ne serait pas juste de les imputer à la nation paraguayenne, plus digne de pitié que de colère. Le sort de ces malheureux descendans des Guaranis inspire les plus tristes réflexions. Reprocher aux Pa-