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suffisans pour la nourriture des noirs, si une insurrection vient à éclater, il sera impossible d’en venir à bout. La colonisation est difficile, sinon impossible. Que les nègres refusent de travailler, l’agriculture sera frappée à mort. » Les vaines alarmes furent impuissantes, les doléances des planteurs et les déclamations des clubs esclavagistes ne trouvèrent pas d’écho. A la chambre, les adversaires de la réforme, tout en la combattant et en trouvant insuffisantes les indemnités pour les maîtres, n’osèrent point affirmer hautement que l’institution de l’esclavage devait être maintenue. La lutte s’engageait non plus sur le principe, mais sur les moyens à employer pour amener l’abolition sans nuire au pays. Le 28 août 1871, la loi était adoptée par la chambre des députés à la majorité de 61 voix contre 25. Votée au sénat le 27 septembre par 33 voix contre 4, elle était promulguée le lendemain par la princesse impériale régente.

Un mouvement sympathique à la nouvelle loi se produisit instantanément dans l’empire. Les assemblées provinciales adressèrent au gouvernement de chaleureuses félicitations, et les Brésiliens, loin de s’attrister des pertes matérielles que l’extinction graduelle de l’esclavage pouvait leur faire subir, se réjouirent hautement de la victoire remportée par la cause du christianisme et de la civilisation. Des manumissions nombreuses eurent lieu sur-le-champ. Le jour même où la loi était promulguée, l’ordre des bénédictins, qui possédait 1,500 esclaves, les mit tous en liberté, et les affranchis continuèrent volontairement leurs travaux ordinaires sur les domaines appartenant à la congrégation. Les carmes suivirent l’exemple des bénédictins. On pense que l’émancipation, une fois commencée, accélérera promptement sa marche, de telle sorte que, les esclaves perdant rapidement leur valeur pécuniaire, les propriétaires accepteront avec reconnaissance des indemnités même peu considérables de l’état. Peut-être même la loi de 1871 n’est-elle qu’un simple acheminement vers des mesures plus radicales. Au sénat, le parti libéral déclara, en la votant, qu’il ne l’acceptait qu’à cette condition, et qu’il présenterait dans quelques mois de nouvelles propositions pour arriver à une émancipation immédiate.

Ce n’est pas tout d’abolir l’esclavage, il est encore nécessaire d’organiser le travail libre. Moraliser les affranchis, leur inculquer les sentimens de religion, de famille, de propriété, fortifier l’élément agricole au moyen de la colonisation, introduire les machines qui facilitent l’agriculture, favoriser l’importation et l’exportation par l’établissement de voies ferrées, telle est la tâche qu’il s’agit d’accomplir. Déjà les chemins de fer, ces auxiliaires si utiles des civilisations naissantes, occupent beaucoup le gouvernement et l’initiative privée. Trois nouvelles lignes ont été récemment concé-