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continuer, en dépit de la paix la plus profonde, pour la gloire du Christ. Bien dignes d’être traités par toutes les nations civilisées en pirates, ces incorrigibles corsaires, — je veux parler des Algériens, — n’avaient pas tout à fait perdu la tradition des Barberousse. Il leur en était resté un courage indompté. Opiniâtres et farouches, montrant dans les luttes les plus inégales la ténacité du chat sauvage, il fallait les broyer pour les faire céder. On se rappelle encore dans la marine française ce misérable brick qui le 11 juillet 1799 refusa obstinément de se laisser visiter par la flotte de l’amiral Bruix. Bravant le feu de plusieurs de nos bâtimens, canonnant avec insolence tous les vaisseaux devant lesquels il passait, l’impudent corsaire ne baissa pas d’un pouce le pavillon du dey. Plus digne d’admiration en somme que de colère, il finit par être rasé de tous ses mâts par le vaisseau le Fougueux, qui ne trouva pas d’autre moyen de l’arrêter.

Le port d’Alexandrie était le rendez-vous assigné aux escadrilles d’Alger, de Tunis et de Tripoli. Avant de se joindre à la flotte ottomane, ces contingens devaient se rallier à l’escadre égyptienne. La conduite de Méhémet-Ali était faite pour justifier une semblable confiance. Jamais le pacha d’Egypte n’avait montré de dispositions moins équivoques. « On lui a persuadé, écrivait l’amiral Halgan, que toutes les puissances européennes sont d’accord pour détruire et se partager l’empire ottoman. Il pense que l’Angleterre se réserve l’Egypte, et disait, il y a peu de jours, au vicomte de La Mellerie : — J’ai gagné mon royaume par le sabre, c’est par le sabre qu’il faudra me l’enlever. » L’aspect de la frégate la Jeanne d’Arc, armée de 56 canons ou caronades de 24, presque aussi forte qu’un vaisseau rasé, avait donné au pacha uns très haute idée de l’habileté de nos ingénieurs. Il songeait dès lors à faire construire deux frégates semblables à Marseille. Quant à des matelots, ce n’était pas seulement à bord des djermes du Nil qu’il les voulait recruter. L’empereur Napoléon avait pris des paysans français pour les incorporer dans ses équipages de haut-bord ; le pacha d’Egypte armerait ses vaisseaux avec des fellahs.

Argent, flotte, armée, alliances séculaires, la Turquie avait tout ; la Grèce n’avait que son désespoir. Le salut lui vint de l’impossibilité où on l’avait mise d’espérer. Sanglante, mutilée, râlant sous le pied de ses anciens maîtres, on ne la vit jamais souscrire à sa défaite, parce que les conséquences de la soumission lui apparaissaient plus effrayantes encore que l’anéantissement. Si les Turcs eussent été des ennemis ordinaires, la constance des Grecs aurait pu faiblir. La cruauté froide du vainqueur sut toujours à propos retremper leur courage et raviver les sympathies qu’ils avaient failli perdre. L’indépendance de la Grèce devait être marquée depuis longtemps dans