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Quand les Turcs montaient les vaisseaux du sultan, c’était pour y combattre. Il n’eût certes pas été sans danger de vouloir, comme au temps de Tourville et du chevalier Paul, « les forcer l’épée à la main » sur les ponts qu’ils auraient entrepris de défendre. Les Turcs avaient conservé l’habitude des combats à l’arme blanche, et dans une lutte corps à corps ils auraient retrouvé tous leurs avantages ; mais ce qui ne fût jamais entré dans l’esprit d’un capitan-pacha, c’eût été la pensée d’envoyer les plus hardis de ses Osmanlis sur les Vergues. Les musulmans à bord de la flotte ottomane pointaient et manœuvraient les canons, aidaient à lever les ancres, mettaient même au besoin, comme le font encore chez nous les soldats passagers, la main à la besogne lorsqu’il ne fallait que tirer d’en bas sur les cordes. Aucun d’eux ne s’aventurait dans l’espace pour aller, suspendu entre le ciel et l’eau, a piller en marin la toile avec les ongles, prendre le bas ris aux huniers, déferler ou serrer les voiles. » Ce travail périlleux était exclusivement l’affaire des raïas, des esclaves ou des mercenaires chrétiens.

Depuis l’époque où se livrait la bataille de Lépante, les Grecs n’avaient pas cessé d’être l’âme de tout vaisseau turc. On avait vu dans cette célèbre journée plus de 25,000 Grecs embarqués sur la flotte ottomane ; 5,000 seulement servaient sur la flotte vénitienne. Les beys de Rhodes, de Milo et Santorin, de Chio, de Chypre, de Morée, de Lépante, de Sainte-Maure, de Négrepont, de Métélin, d’Andros et Syra, de Naxos et Paros, de Lemnos, devaient fournir alors un nombre de galères proportionné à leurs revenus. Rhodes en fournissait 4, Chio 6, Chypre 7, la Morée 3, Naxos, Andros, Métélio, Samos, une seulement ; les îles de Miconi et de Serpho réunissaient leurs contingens pour armer une galère à elles deux. Sans les marins grecs, il n’y aurait jamais eu de flotte ottomane. On peut ainsi juger du désarroi que la défection de ces auxiliaires allait jeter dans la marine, tout à coup désarmée, du grand-seigneur. Si l’on en excepte les jours désastreux où la flotte française perdit à la fois ses officiers par l’émigration et par l’échafaud, ses canonniers par leur envoi aux armées, il n’y avait jamais eu de désorganisation navale plus complète, il ne restait aux Turcs que des combattans. Il leur fallait demander des matelots aux caïques du Bosphore, remplacer les Grecs par des Génois, des Maltais et des Esclavons.

Heureusement pour la Porte, le cri d’alarme qu’elle venait de pousser avait retenti au loin. Les régences de la côte d’Afrique et le pacha d’Egypte se préparaient à venir à son aide. De toutes les marines barbaresques, la marine algérienne était celle dont le renom fût le mieux établi. Les Algériens étaient à leur façon des chevaliers de Malte. Ils aimaient b. faire pour l’honneur de l’islam ce que leurs vœux obligeaient, il n’y a pas un siècle, les chevaliers à