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pu en voir sur les rives du Sperchius ou sur les bords du Danube de moins considérables sans doute, mais de non moins bien ordonnés. De tout temps les rigueurs du bivouac ont été insupportables à l’armée turque, et c’est presque toujours dans ses camps que les généraux européens ont dû l’aller attaquer.

Si l’organisation des armées avait peu changé en Turquie, les lois de la guerre y étaient également restées empreintes des féroces habitudes d’un autre âge. Les prisonniers recueillis sur le champ de bataille étaient mis à mort. Dans les villes, les habitans paisibles, les femmes et les enfans, étaient épargnés. On se contentait de les vendre sur la place publique. Chaque tête coupée se payait 5 sequins, et c’était encore la coutume après une mêlée, quand le grand-vizir retournait à sa tente, de ranger sur son passage les têtes que le sabre ottoman avait abattues.

J’ai déjà indiqué au début de ce travail l’immense intérêt qu’il y avait pour les Turcs à conserver leurs communications maritimes. La vaste étendue de l’empire, le manque de routes, l’impossibilité de tirer aucun approvisionnement de pays ravagés, l’importance des places fortes échelonnées sur le littoral, places qu’il fallait promptement ravitailler et secourir, sous peine de les voir bientôt tomber au pouvoir de l’ennemi, tout contribuait à démontrer l’urgence d’équiper et de tenir en mer une flotte supérieure à celle des insurgés.

La Porte possédait des chantiers de construction à Métélin, à Boudroun, à Sinope, à Constantinople. Les vaisseaux du sultan se bâtissaient généralement à peu de frais, car les chantiers étaient voisins des lieux qui produisent les meilleures essences et les bois de mâture venaient en grands radeaux des bords de la Mer-Noire. Un vaisseau construit à Sinope ne coûtait pas, déduction faite des canons et du gréement, plus de 225,000 fr. L’artillerie se composait de canons de bronze, métal que les mines de l’Asie fournissaient à peu de frais au grand-seigneur. Dans la guerre de 1770, la Porte avait mis en mer 14 vaisseaux et plusieurs frégates. Cette escadre fut complètement détruite par les Russes. Un si grand désastre n’empêcha pas les Turcs vingt ans plus tard de rester les maîtres de la Mer-Noire et de bloquer avec 18 vaisseaux de ligne l’entrée du Dnieper.

En 1821, le matériel de la flotte ottomane se composait de 17 vaisseaux réunis à Constantinople, — 4 trois-ponts et 13 vaisseaux de 74, — 7 frégates, 5 corvettes et quelques bricks.

La difficulté était de trouver des équipages. Les Turcs ne sont pas un peuple marin. Tout ce qui exige de l’agilité ou de la vigilance, de l’activité de corps ou de l’activité d’esprit, répugne à leurs allures lentes, à leur indifférence naturelle ou systématique.