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une goélette algérienne, le capitaine sarcle n’évita la capture qu’en allant se réfugier sous le canon des bâtimens français. Étions-nous fondés à lui maintenir notre protection ? Le débat fut vif, mais en présence d’un texte trop formel il fallut bien céder. Les Turcs furent autorisés à exercer leur droit de séquestre. « Ils célébrèrent cette prise comme un éclatant triomphe, et il fut tiré, à l’entrée du brick sarde dans la rade, plus de coups de canon qu’on n’en eût tiré en France ou en Angleterre pour la capture de toute une escadre. » Le pacha promettait la plus grande indulgence. « Il avait, disait-il, quatre firmans successifs qui prononçaient la peine de mort contre tout raïa arrêté dans sa fuite. Par égard pour la protection de la France, dont ces criminels avaient joui un instant, il leur laisserait la vie ; il leur épargnerait même les rigueurs de la prison, et se contenterait de les distribuer dans des maisons turques. »

Ces paroles étaient-elles sincères ? On avait tout sujet de le croire après les ordres venus de Constantinople. Le mufti n’avait pas seulement recommandé au pacha d’assurer par tous les moyens possibles la tranquillité des Francs : il l’avait engagé aussi à user de son influence en faveur de ces pauvres raïas « qui vivaient de leur travail et de leur industrie. » Il semblait donc que des dispositions plus clémentes fussent à la veille de prévaloir dans les conseils de la Porte ; mais ce n’était pas le sultan ou ses conseillers qu’il eût fallu convaincre, c’eût été ce peuple fanatique que de nouveaux malheurs et de nouvelles humiliations venaient à chaque instant aigrir. Le 26 juillet, le courrier de Constantinople arriva de grand matin ; il apportait à Smyrne l’annonce du départ du ministre russe, le baron Strogonof. La guerre avec la Russie semblait imminente ; il avait fallu renforcer les garnisons des forteresses du Danube, menacées par des concentrations de troupes en Bessarabie. Le pacha d’Acre était en rébellion ; les Druses avaient pris les armes, les cités saintes de La Mecque et de Médine étaient de nouveau inquiétées par les Wahabites ; le sultan avait dû déclarer la guerre au shah de Perse, qui ne cessait de faire des incursions dans les provinces orientales de l’empire. C’en était trop pour la populace de Smyrne. Elle s’ameute et se porte en foule vers les abords du palais. Un sultan en pareille occurrence eût jeté par-dessus les murs du sérail la tête de son vizir. Le pacha n’hésita pas un seul instant à sauver sa vie en prenant celle des infidèles. Le peuple et ses propres soldats, depuis quelque temps, l’accusaient de tiédeur ; il voulut donner un sanglant démenti à ce bruit fâcheux. Le capitaine Zibilich était retenu en prison avec tous les hommes de son équipage. Le pacha les en fait sortir ; on garrotte ces malheureux, on les livre au bourreau, et sur le marché public on leur coupe la tête. Deux matelots es-