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du Péloponèse ; 3,000 hommes furent immédiatement embarqués sur des bâtimens de commerce, dont on confia l’escorte à un brick algérien. Des corsaires grecs furent malheureusement signalés à l’entrée du golfe. Il n’en fallut pas davantage pour que les troupes qui allaient faire voiles demandassent à être remises à terre. Leurs chefs eurent la faiblesse de les laisser débarquer, et ces soldats étrangers furent bientôt les maîtres dans la ville. C’en était fait de la communauté grecque, peut-être même de la colonie franque, s’il n’y eût eu à Smyrne un consul de France énergique et une station française. Cette station, placée sous les ordres du capitaine de frégate Lenormant de Kergrist, était peu considérable ; elle ne se composait que de deux bâtimens, la corvette l’Echo et la gabare la Lionne. Le dévoûment du consul-général de France, M. David, et la vigoureuse attitude des officiers dont il invoqua le concours suppléèrent à l’insuffisance de nos forces. « Le capitaine de Kergrist, écrivait quelques mois plus tard le contre-amiral Halgan, a sauvé par sa fermeté une population tout entière. » — « Le sang-froid, le caractère plein de dignité et de grandeur déployés par M. le consul-général de France, écrivait de son côté le capitaine de Kergrist, m’ont pénétré d’admiration. »

Le 15 avril, un courrier arriva de Constantinople. Les bruits les plus alarmans circulèrent aussitôt. Les Grecs crurent que les autorités ottomanes avaient reçu contre eux un firman foudroyant. Quelques coups de fusil tirés par des galiondjis leur parurent le signal du massacre ; ils se précipitèrent en foule vers le bord de la mer. De leur côté, les Turcs, à la vue de ce tumulte, s’imaginèrent que les Grecs venaient de se révolter ; ils coururent aux armes. Pendant ce temps, les femmes et les enfans, s’échappant des maisons turques aussi bien que des maisons grecques, fuyaient de toutes parts, affolés, éperdus. La terreur générale s’étendit jusqu’aux Francs ; les uns s’enfermaient dans leurs magasins voûtés, les autres allaient demander asile à quelque navire européen. Bientôt heureusement, les Francs et les Turcs revinrent de leur panique ; quant aux Grecs, ils continuèrent à s’embarquer et à fuir. Ceux qui ne purent trouver place sur les bâtimens étrangers, ou qui ne réussirent pas à gagner le large sur quelque bateau du pays, demeurèrent entassés avec leurs familles dans les embarcations mêmes qui les avaient transportés en rade. Fort émues de cette situation, les autorités de Smyrne s’assemblèrent et tinrent un grand divan. Les consuls furent invités à y assister. Le mollah prit le premier la parole. « Le refuge, dit-il, que les raïas trouvent sur les bâtimens des Francs les encourage à déserter leurs maisons et à s’abandonner à de vaines frayeurs. Ces embarquemens continuels font murmurer le peuple. Je demande formellement qu’on oblige