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Ces sortes d’aventures ont parfois un dénoûment plus tragique, quoiqu’il reste inconnu. On acquit la certitude, il y a quelques années, que de fausses reconnaissances, portant tous les caractères possibles d’authenticité, étaient vendues à des marchands qui venaient inutilement réclamer des gages dont on ne retrouvait aucune trace. Une surveillance occulte prouva que nul employé n’était coupable. La police se piqua au jeu, et finit par fixer son attention sur un individu qui avait une vie extérieure honorable, qui exerçait une fonction importante et paraissait à l’abri de tout soupçon. On acquit la certitude que, sous un prétexte plausible, il avait ses grandes entrées dans plusieurs bureaux du mont-de-piété, qu’il était connu sous deux noms différens, et qu’il avait trois domiciles, sans compter celui de sa maîtresse. C’est là qu’on l’arrêta; conduit chez un commissaire de police, il fit bonne contenance, et, saisissant à l’improviste un compas caché dans son mouchoir, il s’en porta un coup au cœur et se tua.

De si graves affaires sont rares, et le mont-de-piété n’a guère à se défendre que contre deux variétés de filous parfaitement catégorisés : les chineurs et les piqueurs d’once. Les premiers sont des industriels fort prudens, difficiles à prendre en faute, payant patente et exerçant le plus ordinairement le métier de brocanteur en bijoux. Faire la chine consiste à augmenter frauduleusement la valeur apparente des objets. Le coup de chinage le plus fréquent est celui-ci : on détache d’une chaîne en or véritable, composée de pièces mobiles réunies les unes aux autres, le porte-mousqueton et les anneaux sur lesquels la garantie a mis son poinçon; puis ces mêmes objets sont adaptés à une chaîne identique en cuivre fortement doré, — ce qu’on nomme le doublé d’or. Une fois que cette opération est faite, on salit la chaîne pour lui donner un air vieillot, et on la porte au bureau d’engagement. Le commissaire-priseur vérifie les poinçons, croit avoir entre les mains un bijou tout en or de premier titre et accorde une somme qui représente dix fois la valeur de l’objet frelaté. Le chineur accepte, s’en va, après avoir donné un faux nom, montré de faux papiers d’identité, et vend la reconnaissance. Au jour de la vente, on s’aperçoit quelquefois de la fraude, et alors la caisse des commissaires-priseurs paie la différence. L’affaire est quelquefois fort onéreuse; on a gardé le souvenir d’un coup de chinage sur de faux galons d’or, qui coûta aux commissaires-priseurs plus de 30,000 francs. On falsifie encore les bijoux en les fourrant, c’est-à-dire en coulant du plomb dans les parties creuses, afin de leur donner un poids plus considérable; rien n’arrête ces gens-là, et ils ne sont point embarrassés pour se servir de faux poinçons et de fausses marques de fabrique.