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sans discussion ni critique. Le peuple anglais, ému des souffrances dont Paris avait été accablé pendant la période d’investissement et animé d’un esprit de charité dont nous ne saurions être trop reconnaissans, nous envoya des secours abondans aussitôt que le blocus fut entr’ouvert ; on expédia entre autres une somme de 20,000 francs qui devait être spécialement employée à délivrer les instrumens de travail que les ouvriers avaient nécessairement été contraints d’engager pendant ces longs jours de misère. Le mandataire des commissions anglaises s’excusait de la modicité de la somme, et redoutait qu’elle ne fût presque ridiculement insuffisante. L’appel du mont-de-piété à ses cliens fut aussi large et aussi retentissant que possible ; à cette époque, les magasins contenaient 1,708,547 articles représentant un prêt de 37,502,723 fr. ; en présence d’un pareil total, qu’était-ce donc que 20,000 francs ? C’était beaucoup plus qu’il ne fallait, car on n’eut à rendre que 2,383 outils, dont le dégagement coûta 13,570 francs ; 6,430 francs n’ont pas trouvé d’emploi. Si la misère réelle avait eu ses gages au mont-de-piété, elle y eût couru ; on peut affirmer qu’elle n’y va qu’accidentellement.

Cette vérité apparaît d’une façon saisissante lorsqu’il y a de ces dégagemens gratuits officiels qui sont un don de joyeux avènement ou une mesure inspirée par des circonstances politiques particulières. La première fois que j’en trouve trace dans l’histoire, c’est à la date du 9 octobre 1789, date déplaisante : elle prouve en effet que la crainte plus que tout autre sentiment avait dicté cet acte de générosité qui, pour être sincère, succédait trop rapidement à ces néfastes journées du 4 et du 5 octobre, depuis lesquelles la France ne sait plus à quel principe se rattacher, car on y viola du même coup le droit monarchique et la souveraineté populaire. La convention fait comme Louis XVI, et tous les gouvernemens qui ont succédé ont suivi l’exemple donné. Au mois d’octobre 1870, le gouvernement de la défense nationale n’y manqua pas, et nous avons vu que la commune l’imita. Or le dégagement gratuit est généralement limité aux prêts qui ne dépassent pas 10 ou 20 francs, et voilà ce qui se passe invariablement : on dégage à une porte, et on réengage à l’autre. En admettant que 4,000 nantissemens puissent être rendus le matin, avant la fin de la journée le mont-de-piété en a certainement repris plus de la moitié. Cela prouve, dira-t-on, que ces gens-là ont avant tout besoin d’argent ; mais cela prouve aussi que dans les cabarets les pièces de 5 francs sont une monnaie qui a plus facilement cours que les matelas et les vieux paletots. L’alcoolisme, qui peuple nos asiles d’aliénés, entre pour une proportion très appréciable dans le mouvement du mont-de-piété. Si aux jours de dé-