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blics, si l’on avait la coupable imprudence de les rétablir, ne tueraient les tripots clandestins. L’appât du lucre sera toujours un attrait puissant pour les âmes basses. Voici ce qu’on lit dans un ouvrage spécial que j’ai déjà cité, et qui a été écrit par un homme que ses fonctions ont mis à même de connaître à fond ce triste sujet. « Malgré les dispositions de la loi du 16 pluviôse an XII et du code pénal, le prêt clandestin s’opère à Paris sur une vaste échelle, et ce serait une erreur de croire qu’il est pratiqué seulement par de misérables brocanteurs. De riches bijoutiers, des négocians en renom, des banquiers millionnaires ne dédaignent pas d’exploiter la misère qui se cache, comme le faisaient leurs pareils avant 1777. Ils ont comme eux le privilège de l’impunité, soit parce qu’ils ont l’habileté de déguiser sous forme de vente à réméré leurs honteuses spéculations, soit, c’est triste à dire, parce que leur position même semble les mettre à l’abri des poursuites qui devraient les atteindre. Comme directeur du mont-de-piété, nous avons reçu à ce sujet de curieuses révélations; mais le plus souvent les victimes se refusaient à ce qu’une plainte fût portée en leur nom, retenues qu’elles étaient par la crainte du scandale qui s’attache à ces sortes d’affaires[1]. »

L’administration complète se compose d’un chef-lieu, de deux succursales, de vingt-quatre bureaux auxiliaires et de quatorze commissionnaires. Nous visiterons le chef-lieu, qui centralise toutes les opérations importantes et dont les différens rouages sont intéressans à étudier. Il s’ouvre sur la rue des Francs-Bourgeois et sur la rue Paradis; il est gardé par un peloton de vingt-cinq municipaux; il a un poste de pompiers et un bureau spécial de police occupé par un sous-brigadier du service de sûreté accompagné de trois agens. Il a été rebâti en grande partie vers 1805; l’escalier étroit, la rampe alourdie de faisceaux romains, l’ornementation tout entière, lui font un acte de naissance irrécusable; la façade froide et triste est en pierres de taille, mais les autres bâtimens, en simple limousinerie, sont peints de cet insupportable jaune administratif, qui prouve que le Français est le moins coloriste de tous les peuples.


II.

Pour prêter de l’argent, il faut en avoir; or le mont-de-piété n’en a pas, donc il emprunte. Toutes les prescriptions qui ordonnaient aux hospices de lui fournir un capital suffisant sont restées

  1. A. Blaize, Des Monts-de-Piété, etc., t. Ier, p. 153.