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blant de légalité, on inscrit sur son drapeau quelque devise respectable, comme la liberté religieuse. Les premières leçons de cette politique astucieuse furent données par le ministre français Dubois, dont le mensonge et la fourberie, soutenus d’un talent incontestable, composaient en grande partie l’habileté : le régent, qui avait de l’esprit sans principes, suivit les conseils de son précepteur et ministre en riant, comme un homme qui s’amusait volontiers de ce qu’on appelait de bons tours. Ce n’était là que le commencement timide et circonspect d’un machiavélisme nouveau : il n’avait pour but et n’eut pour effet que de mettre en lumière les habiles, les roués dans tous les sens, et de jeter dans la défaveur les honnêtes gens. La politique destinée à triompher tout à fait fut la perfidie avec des apparences honnêtes, revêtue du manteau de la philosophie, parlant sans cesse de Marc-Aurèle, de siècle de lumières, d’humanité, de bienfaisance, de tolérance, de toutes les choses excellentes qui étaient l’idéal et faisaient l’honneur de la génération nouvelle. Quel fut le prince, l’homme d’état, dans lequel se réalisa cette duplicité d’une autre espèce, si ce n’est Frédéric II? Et quelle raison après tout empêche de voir dans le grand général un grand roi, si ce n’est qu’il ne fut pas assez honnête homme? Un mot de Macaulay, critique désintéressé, juge équitablement Frédéric : « le prince trompa ses amis, le roi les détrompa. »

M. Trendelenburg, qui tient à faire de Frédéric le plus grand, le seul grand roi, ne songe même pas à défendre sa politique contre l’accusation de duplicité. Il prend au sérieux l’Anti-Machiavel comme si l’on n’avait pas dit depuis longtemps que c’est une déclamation d’école. Que sera-ce donc si ce n’est pas même une déclamation de bonne foi, une œuvre de jeune homme répétant sa leçon philosophique? Voilà un prince qui fait des tirades sur les crimes des rois, qui feint d’être fort détaché de l’intérêt de la royauté, qui va jusqu’à des professions de foi républicaine, qui déclare sa préférence pour le gouvernement d’Angleterre; si l’on entre dans le détail, on voit qu’il maudit la guerre, qu’il déteste les conquêtes. Il a horreur de l’ambition, il se signe à l’idée de trahir une alliance jurée, il méprise ceux qui jettent un œil d’envie sur les provinces de leurs voisins, il considère ses sujets comme ses égaux, et, pour couronner son œuvre, il prie les souverains de ne se point offenser de la liberté avec laquelle il leur parle : il puise dans leurs vertus et dans la bonne opinion qu’il est obligé d’avoir d’eux le courage de dire la vérité. Cependant, si nous lui faisons l’application de cette règle qu’il établit, « que l’on juge les hommes non pas sur leur parole, mais en comparant leurs actions avec leurs discours, » que trouvons-nous? Frédéric n’a eu garde d’imiter le gouvernement d’An-