Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des meilleurs juges. Encore ne faut-il pas oublier qu’il a manqué parfois des qualités dont les généraux allemands se piquent le plus, la solidité par exemple, et qu’il a montré en revanche les défauts dont ils ne sont pas exempts, tels que la vantardise. Sa bonne étoile, qui s’est cachée si souvent et presque toujours par sa faute, est venue à son secours de mille manières, en opposant à son infatigable activité la lenteur autrichienne, à ses régi mens bien tenus une indiscipline française qui ne s’est, hélas! que trop renouvelée, à sa règle d’entretenir, suivant son expression, dans le ventre du soldat le foyer du courage, des armées quelquefois sans pain, à ses petites armées aguerries la cohue de ce qu’on appelait l’armée de l’empire. Il en vint de bonne heure à mépriser ses ennemis, ce qui lui valut le désastre de Maxen; en cette circonstance, il fit la folie de jeter dans une aventure d’où il n’aurait pu se tirer lui-même son général Finck, qui était infiniment au-dessous de lui; il eut même l’injustice de le faire passer en conseil de guerre pour une faute dont il était lui-même et seul coupable. Il ne lui pardonna jamais de sa vie d’être le témoin de son erreur et la preuve vivante des périls extrêmes où il s’était précipité. M. Carlyle a trouvé l’occasion favorable pour dire qu’un roi parfait doit jouer quelquefois le rôle d’un Rhadamanthe. Jamais les affaires de Frédéric ne tombèrent plus bas qu’à la suite de cette déconfiture de Maxen; jamais il n’avait plus compté sur la victoire; il avait chanté son triomphe d’avance. On lit dans ses poésies une ode à la Fortune dont il eût bien fait d’ajourner la composition au lendemain de l’événement.

Il n’en est pas moins le plus grand guerrier et le meilleur général de son temps; à force d’attention et d’activité, il répare la faute grave d’avoir commencé la guerre de sept ans; il résiste à l’Europe presque entière, n’ayant pour lui que l’alliance anglaise; il se porte de l’est à l’ouest et du midi au nord pour combattre un ennemi avant que l’autre soit prêt, pour arrêter l’un avant que celui-ci ait fait sa jonction avec l’autre; il vient à bout de la fortune et force la destinée. Son éminente qualité, celle où il surpasse peut-être tous les autres grands capitaines, c’est le calme dans les circonstances les plus extrêmes. La véritable énergie n’est pas celle de la passion : ce mot ne doit pas réveiller l’idée d’un feu qui dévore, ni d’un torrent qui emporte les obstacles; c’est une force qui sait attendre son heure, qui ne s’éteint pas après un échec, une force qui dure même après la victoire. L’énergie de Frédéric était extraordinaire.

Ce mérite a tout son éclat après l’irréparable défaite de Kolin, qui lui fait perdre sa position en Bohême, la ville de Prague, la