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conseillant de pointer quatre canons contre la fameuse colonne d’infanterie anglaise, n’est pas chose nouvelle : Voltaire en parle, et il n’en résulte pas que Lally, qui donna ce conseil sans l’exécuter, puisqu’il commandait l’infanterie irlandaise, soit le vainqueur de Fontenoy. Les chicanes en histoire sont de tous les temps; mais il y avait au siècle dernier, dans ce siècle menteur que M. Carlyle méprise, une certaine politesse qui s’en va, et que l’auteur écossais moins que tout autre fera revivre. Il faudrait au moins s’imposer pour règle ce mot qui fait grand honneur à la nation et à la langue anglaise, le fair play, le jeu loyal; M. Carlyle, citoyen de Londres depuis longues années, le devrait mieux pratiquer.

Malheureusement il a condamné sans appel le peuple français; il s’est comme engagé d’honneur à nous tenir pour une nation perdue. Notre révolution est un incendie auquel nous avons le tort de survivre. La combustion, il est vrai, n’est pas complète; c’est qu’il y avait bien de l’humidité dans les décombres, et que la surface seule était sèche et tout à fait bonne à brûler. En attendant que nous soyons absolument réduits en cendres, tout ce que la France a fait, ce qu’elle fera encore, est gênant pour M. Carlyle et pour ses prédictions. Nous avons dit qu’il y a pour nous quelque profit à tirer des colères de l’auteur de cette histoire : il convient de l’indiquer sur-le-champ, et, puisqu’il se plaît en maint endroit à porter sur nous la malédiction annoncée à Balthazar, voici quelques-uns des passages sur lesquels on appellera l’attention des lecteurs. A la fin de la seconde guerre de Silésie et lors de la paix d’Aix-la-Chapelle en 1748, il nous adresse cette leçon :


« Les pertes en hommes et en argent, par suite de cette folle entreprise de Belle Isle, furent énormes, palpables, pour la France et pour le monde entier; mais peut-être était-ce une bagatelle en comparaison de la gloire qu’elle procura, la gloire de se plonger dans la guerre sans aucun motif, et avec des résultats consistant en je ne sais quelles fumées malsaines de nature fort peu solide. Ces messieurs avouent leur promptitude à prendre les armes, et leur talent dans ce métier en certaines occasions est fort grand, je l’avoue. Cependant cette façon de traiter le combat et la tuerie, la mort, le jugement dernier et l’éternité comme des incidens de comédie, cette manière de valeur transcendante qui ressemble à des chiquenaudes qu’on donnerait à la face du Tout-Puissant, cette conduite-là, messieurs, permettez-moi de vous le dire, vous mènera au diable, si vous n’en changez pas, vous et votre première nation dit monde. Cela