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dant longues années notre naissante monarchie. Refoulée, confinée sur un seul point de notre sol, vers nos frontières méridionales, cette rivale n’a renoncé à aucun de ses ambitieux desseins; mais l’occasion lui aurait manqué peut-être, lorsqu’on montant au trône, le jour même de son sacre, un jeune et imprudent monarque la lui fournit comme à plaisir. De là cette guerre acharnée qui devait durer plus de cent ans (1340-1460), de là ces trois batailles exactement semblables, décidant toutes les trois du destin de la France, et offrant toutes les trois le spectacle lamentable des mêmes fautes et des mêmes revers, amenés par les mêmes causes, par l’incurable indiscipline de forces déréglées, sans ordre et sans chefs, venant vaillamment se briser contre une force compacte, commandée et docile. Le cœur saigne à penser que, pendant près de cent années, nos pères ont dû subir, de désastre en désastre, cette poignante humiliation de recevoir sous leur toit, à leur table, l’étranger établi en maître, les dominant, les possédant, les gouvernant sans merci. Ce qui naguère nous a semblé, même pour quelques semaines, absolument intolérable, ce qui est encore la plaie vivante, mais à court terme, nous l’espérons, de quatre de nos départemens, la France presque entière en a souffert l’angoisse pendant nombre d’années sans en prévoir la fin. Elle a vu sacrer dans sa capitale, sous les voûtes de sa métropole, un roi de France anglais! Elle a pu croire que c’en était fait de sa vie propre, de sa vie de nation, qu’elle tombait en domesticité. Quel désespoir ou plutôt quelle mort ! mais aussi quelle résurrection, quel réveil! quel délire de bonheur à l’heure de la délivrance! Balayer l’ennemi, purger le sol de la patrie, tout reconquérir pied à pied, tout recouvrer, tout reprendre, sans conditions, sans rachat, sans rançon, voilà d’indicibles joies, de ces joies qu’on envie surtout quand on est d’âge à ne les sentir jamais!

Ce grand miracle de la libération de notre territoire est le point culminant du second volume dont nous parlons ici. L’auteur avait à sa disposition, pour mettre en scène Jeanne d’Arc, une abondance de documens, d’études, de recherches, de matériaux de toute sorte, qui ne lui laissaient que l’embarras du choix. Il semble que le triste à-propos qui nous rend aujourd’hui cette page de nos annales de plus en plus précieuse et chère ait été pressenti de nos paléographes et de nos historiens, tant ils se sont, comme à l’envi, attachés dans ces derniers temps à découvrir, à commenter, à éclaircir toutes les pièces de conviction, tous les titres, tous les témoignages de ce prodigieux épisode. Les savantes publications de M. Quicherat et de M. Wallon, les travaux de bien d’autres, dignes aussi d’être écoutés et consultés, nous ont rendus presque contemporains de Jeanne, de ses compagnons d’armes, de ses juges et de ses bourreaux. Le récit de M. Guizot condense et résume tous les autres. Ce qui en fait le prix, ce n’est pas seulement cet avan-