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de Bach, de Mendelssohn, de Schumann, aussi doués d’aptitudes et de talens que dépourvus d’idéal, ils négligent, dédaignent la France, écoutent religieusement les voix qui leur viennent d’Allemagne, et combinent des sonorités comme fait un peintre des couleurs de sa palette. On trouve ainsi des harmonies que les collectionneurs de raretés paient hors de prix. « Tiens! s’écrie-t-on en langage d’atelier à propos de telle résolution de phrase bien venue, n’est-ce pas que c’est amusant? » Et naïvement on s’imagine qu’il n’en faut pas davantage pour composer des opéras.

L’Institut vient de ramener dans ses attributions la nomination des prix de Rome. Peut-être cette reprise de possession récemment célébrée en séance solennelle paraîtra-t-elle un peu hâtive. C’est en effet couper bien court à l’essai des commissions spéciales, et pour nombre de gens il s’en faut que la question soit résolue. Nul ne prétend contester à l’Institut ses titres et sa compétence; il n’en est pas moins vrai qu’ici le juge est trop rapproché de l’élève. Aurait-on la poitrine cuirassée du triple airain, il y a de ces influences auxquelles on n’échappe pas, et jamais vous n’étoufferez cette voix des entrailles qui parle et parlera toujours au professeur des avantages de son élève sur le concurrent. Comment écarter les questions de personnes, les compromis tacites, dans un aréopage où tout le monde se connaît de vieille date, où l’œil paterne des juges plonge forcément dans sa vie privée des candidats, où des considérations d’âge, de fortune, l’imposent à vous malgré vous? Tel candidat concourt depuis des années, le voilà parvenu aux limites d’âge : s’il n’a le prix cette fois, il ne l’aura jamais; tel autre, plus jeune, mieux rente, peut attendre. Il y a là un côté humain, sentimental, qui frappe les yeux les moins clairvoyans. Un jury composé par le vote répondait mieux, ce semble, à l’idée abstraite de justice; rien n’empêchait d’ailleurs que des membres de l’Institut ne fussent appelés en compagnie d’arbitres tout aussi compétens et plus désintéressés, qu’on eût alors choisis parmi les directeurs de théâtres lyriques et les musiciens non pratiquant. Quelque chose était à faire, c’est certain; on a préféré rentrer au plus tôt dans l’ancienne ornière; les sorboniqueurs, comme disait Voltaire, ont reconquis leur vieux droit féodal, et c’est à M. Thomas que l’honneur est échu d’annoncer urbi et orbi cette bonne nouvelle.

Tout musicien n’a pas besoin d’être un grand lettré ; mais, quand on s’arroge l’honneur de prendre la parole au nom de l’Institut de France, au moins-devrait-on y mettre quelque style et ne point s’exprimer comme un pédagogue de village. « Nos solennités académiques ont retrouvé leur parure! » Passe encore s’il se fût agi d’un morceau d’improvisation; mais non, c’était de l’éloquence à tête reposée, de l’éloquence lue ! Pauvre Halévy ! que n’assistait-il à cette fête de l’intelligence et des