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phonique. Le Boïeldieu de la première manière n’a point cette expérience de l’orchestre, il obéit à son entrain, à son idée; mais sa phrase généreuse, vivante, bien posée, toujours chantante et toujours française, est le style même. Prenez le duo du Chamberlin dans le Nouveau Seigneur, Mozart signerait cette page. Les belles pensées viennent de l’âme, et c’est avec la tête, seulement avec la tête, que nous prétendons maintenant composer. Tout est parti-pris, tout est voulu. Je reproche à ces jeunes talens, en leur tenant compte des qualités que les maîtres d’autrefois n’avaient point à leur âge, c’est certain, — je leur reproche de méconnaître les conditions du drame lyrique, de rater dans un opéra tout ce qui est air, duo, morceau d’ensemble, et de ne réussir que dans les hors d’œuvre symphoniques, en un mot de ne savoir, ne vouloir et ne pouvoir faire autre chose que ce que les Allemands appellent de la musique absolue. Dans César de Bazan, le croira-t-on? c’est sur un entr’acte, un prélude, une suite d’orchestre que se porte le principal intérêt musical de la soirée. Et cet entr’acte même, — une véritable aquarelle de Fortuni, — n’est-ce pas au charme du rhythme espagnol, de cette façon de boléro si curieusement détaillé, ouvragé, bien plus qu’à l’originalité du motif, qu’il doit la faveur dont on l’accueille? Force nous est d’en convenir, en ce bienheureux pays de la mélodie continue les idées ne coulent pas de source; on les prend où l’on peut, et les recueils d’airs nationaux, les vieux opéras-comiques, sont mis à contribution selon les besoins. L’inventeur de ce beau système, dans un des nombreux et facétieux volumes où complaisamment il étudie sa propre personnalité, pour la plus grande édification des générations présentes et futures, M. Richard Wagner nous raconte comment, la fantaisie un jour l’ayant pris de composer un opéra-comique en deux actes, il s’aperçut tout à coup avec horreur qu’il écrivait une musique à la Auber! C’était le cas de s’écrier, comme le marquis de Mascarille dans les Précieuses :

Oh ! oh ! je n’y prenais pas garde.
Tandis que, sans penser à mal, je le regarde,
Auber en tapinois me dérobe mon cœur.
Au voleur! au voleur! au voleur! au voleur!


M. Wagner n’y manque point, et son haut-le-cœur de résipiscence n’en est certes pas moins grotesque. « J’en ressentis un désespoir profond, immense, écrit-il; tous mes sentimens se révoltèrent à cette découverte, et je me détournai de mon travail avec dégoût! » Voilà qui est dicté, et M. Jules Simon, parlant de l’auteur de la Muette devant le conservatoire assemblé, ne montrerait pas plus de mépris; mais, ô vanité de la théorie! l’archi-poète et l’archi-musicien en sera pour sa courte honte, et c’est d’un motif du Philtre (l’air du sergent), d’un vil pont-neuf d’Auber,