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Caro nome che il mio cor, — allez l’entendre dans Rigoletto dire cet air de l’escalier ; c’est la perfection. Son trille pour la netteté de vibration et la tenue vaut la cadence du rossignol. Dans Lucia, elle enlève la scène de folie de manière à défier tous les souvenirs.

Mais, bon Dieu ! que cette musique a donc vieilli ! Que toutes ses fanfreluches vocales sont démodées ! Otez le sextuor et la première partie si profondément pathétique de l’acte des tombeaux, il ne reste qu’un assemblage de formules mélodiques hors de cours, un banal canevas à fioritures ; du moins faut-il au théâtre qu’il y ait un objet quelconque d’attraction. Ce bon vieux genre italien, usé, passé, caduc, volontiers nous l’accepterions encore, si, en dédommagement de l’intérêt dramatique et du spectacle absens, on nous offrait une exécution quelque peu complète et soutenue, capable de redorer à nos yeux l’ancien clinquant. Nous ne demandons pas qu’on nous ramène au temps de Rubini et de Lablache ; mais, puisqu’on nous atteste que ce genre n’est pas mort, qu’on nous en donne donc enfin des preuves. N’est-ce point surprenant de voir un ténor de l’Opéra-Comique, M. Capoul, et l’Albani, une Américaine, faire à eux seuls les frais du Théâtre-Italien ? Du personnel ordinaire en vérité on n’en saurait parler ; dans la Lucia, M. Ugolini chante Rawenswood comme ferait un ténor de province, violentant la phrase, n’observant ni temps ni mesure. Si le Théâtre-Italien n’est pas une école de chant, à quoi sert-il ? Nous n’allons point là, je suppose, pour admirer des costumes et des décors ou pour prendre intérêt au poème. Ces ouvrages d’une instrumentation à la fois vide et bruyante, où dans les airs les duos, les ensembles, se reproduisent invariablement les mêmes rhythmes, les mêmes coupes, n’avaient qu’un avantage, celui d’être bien écrits pour les voix et de fournir aux virtuoses toute occasion de mettre leur talent en évidence. Lorsqu’après un Rubini, un Moriani, Mario abordait telle partition du répertoire, on accourait. C’était une curiosité, un rare attrait de suivre pas à pas le débutant et de comparer ce qu’on entendait avec ce qu’on avait entendu. Rubini avait son magnétisme indescriptible, ces effets de lumière à la Rembrandt qu’il appliquait à son art, ce velouté mystérieux, crépusculaire, de la voix succédant à l’éblouissement du son ; Mario avait ses vingt-cinq ans, son élégance patricienne et cette juvénilité de résonnance, ce timbre d’or qui, dès la première intonation, mettait la salle entière sous le charme ; Moriani avait la fibre émue et pathétique, et jamais interprète ne rendit avec plus de tendresse éplorée le romantisme où se noie, comme dans un rayon de lune, tout le troisième acte de la Lucia. Est-il besoin d’insister sur tant d’élémens de succès, qui tenaient en éveil le public de cette période et qui désormais n’existent plus ? Donnez à des Français un spectacle qui leur prête à discuter, et vous pouvez être sûr qu’ils s’y rendront. Cela seul vit qui nous passionne ; or pour qui se passionner à