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étrangères avait à révéler, s’il n’a rien de plus à dire, il aurait tout aussi bien fait de ne pas rompre le silence qu’il s’était imposé d’abord devant la commission d’enquête de l’assemblée. Il n’eût point donné l’exemple d’une diplomatie indiscrète s’exposant à compromettre les intérêts du pays par la divulgation de pourparlers confidentiels échangés entre les gouvernemens, et se servant de pièces qui n’appartiennent qu’à l’état, que personne n’a le droit de jeter dans une discussion publique.

Chose étrange, M. le duc de Gramont convient lui-même dans sa dernière lettre que le cabinet de Vienne « n’avait pas vu avec plaisir éclater la guerre de 1870, » qu’il l’avait encore moins encouragée, que cette guerre l’avait au contraire « péniblement surpris. » Qu’a-t-on dit de plus ? On a objecté à l’ancien ministre des affaires étrangères qu’il s’était jeté dans la guerre sans alliances, et ce qu’il avoue aujourd’hui ne fait que confirmer ce qu’on lui a dit. N’est-il pas de toute évidence que, lorsqu’il se réduisait à chercher des alliés après une déclaration de guerre qui contrariait les idées ou les intérêts de ceux dont il avait à invoquer l’appui, il laissait ces alliés moralement maîtres de leurs résolutions, libres de n’agir que « dans les limites du possible ? » C’est une singulière politique, on en conviendra, de commencer par se jeter dans la bagarre, avec l’espoir qu’on sera suivi. Eh ! cela est bien clair, on sera suivi si on a des succès, si on a des revers, on sera abandonné, et le mieux à faire alors est de ne point se plaindre des autres, de ne point récriminer contre ceux qui refusent de se jeter aveuglément dans une guerre sur laquelle ils n’ont pas été consultés, qu’ils ont blâmée.

Sait-on quelle est la moralité qui se dégage de tous ces documens réunis par la commission d’enquête, aussi bien que des divulgations de M. le duc de Gramont ? C’est que malheureusement depuis longtemps, soit par légèreté, soit par infatuation, soit enfin parce qu’on ne se rendait plus compte de nos intérêts nationaux, les affaires de notre pays ont été conduites à l’aventure, avec une incohérence désastreuse ; on a épuisé jusqu’au bout la fortune de la France. Le résultat a été la perte de deux provinces, une indemnité de cinq milliards à payer, et l’éclipse momentanée du vieux prestige de notre patrie. Il est plus que temps, si l’on veut relever notre grandeur nationale, de se remettre à l’œuvre avec cet esprit de suite, cette précision de desseins, cette fermeté et cette vigilance qui refont les fortunes perdues.

C’est tout un travail à recommencer dans la politique extérieure comme dans la politique intérieure, et la première condition évidemment est de s’occuper de la France sans créer des difficultés inutiles. Ce n’est peut-être rien de plus qu’une de ces difficultés inutiles qui vient de s’élever à Rome par la démission soudaine de notre représentant auprès du saint-siége, M. de Bourgoing. M. de Bourgoing s’est retiré brusquement, il est parti au plus vite pour rentrer en France, comme