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REVUE. — CHRONIQUE.

ment éclairci. Comment ont-ils été possibles et comment se sont-ils produits, ces affreux désastres ? C’est la grande et douloureuse question qui se réveille sans cesse, qui s’agite surtout dans cette enquête dont l’assemblée nationale a pris l’initiative, où se pressent les témoignages, les justifications et les explications quelquefois aussi accusatrices que les faits eux-mêmes. La catastrophe a été si soudaine et si violente qu’on est resté d’abord dans une sorte d’étourdissement. Peu à peu cependant on commence à se remettre, à voir plus clair ; la vérité jaillit par degrés du choc des contradictions, et cette vérité, telle qu’elle apparaît aujourd’hui comme hier, après tous les éclaircissemens qui se succèdent, c’est que jamais réellement on n’a conduit un pays à sa perte d’un cœur plus léger, selon le mot étourdi et naïf de M. Émile Ollivier, qui disait certainement bien plus vrai qu’il ne le croyait.

Que M. le duc de Gramont, par les révélations qu’il laisse entrevoir maintenant, cherche à préciser ce qu’on peut appeler la partie diplomatique de cette triste aventure, qu’il s’efforce de dégager sa responsabilité de ministre des affaires étrangères, rien n’est plus simple. On lui a reproché de s’être jeté dans la guerre sans alliances, M. le président de la république lui-même, évoquant les souvenirs de son voyage à travers l’Europe au lendemain du 4 septembre, a dit nettement que l’empire ne pouvait compter sur personne, que M. de Beust et M, Andrassy n’avaient rien négligé pour arrêter le gouvernement français, pour lui enlever toute illusion sur la possibilité d’un concours armé de l’Autriche. M. le duc de Gramont ne veut pas rester sous le coup de ce reproche, et, sortant cette fois de la réserve diplomatique où il s’était renfermé devant la commission d’enquête, il soutient qu’on ne lui a pas tenu le langage que M. Thiers prête au cabinet de Vienne, qu’on lui a fait au contraire cette déclaration significative : « l’Autriche considère la cause de la France comme la sienne et contribuera au succès de ses armes dans les limites du possible. » Soit, c’est l’incident diplomatique du jour, qui fait du bruit à Vienne comme à Paris, qui ne laisse point évidemment d’avoir quelque importance, et qui sera sans doute éclairci jusqu’au bout. Au fond, ce n’est pas là précisément la question, ou du moins, ce n’est qu’un des élémens de cette terrible question de la guerre de 1870.

L’important, l’essentiel, ce qui apparaît désormais distinctement à travers les dépositions de l’enquête, c’est que, depuis le premier moment jusqu’au dernier, on marche à cette effroyable aventure en se laissant aller à une sorte de fascination puérile, sans savoir où l’on va ni ce qu’on veut, sans se rendre compte de la portée de ce qu’on fait, et il est malheureusement vrai que tout le monde a eu un peu son rôle dans cette grande et fatale étourderie. Le premier exemple de ce décousu de la politique impériale, c’est l’histoire de cette déclaration du 6 juillet, qui engageait tout. Comment se produisait-elle, cette déclaration ? Ceux qui